L’aikido au quotidien

C’est une voie d’éthique.


André Cognard - shugyoshu - à Bourg Argental – 2011.

J’enseigne, j’écris, je donne des conférences pour faire passer un message de paix et d’humanisme.
Pour moi, l’aikido n’est pas une pratique destinée à s’empoussiérer dans les dojo ou à se pervertir dans le monde du sport. C’est une voie et comme toute voie, elle doit permettre au pratiquant de fonder une éthique. Celle-ci est une aide pour prendre des décisions au quotidien, pour se prémunir contre les travers du modernisme échevelé, pour devenir maître de sa vie. Dans la grisaille de la pseudo crise économique, les budo peuvent nous donner une vision optimiste de notre vie. Et ils y introduisent l’obligation de remettre en question nos points de vue et de réfléchir à tous les aspects des relations auxquelles nous sommes amenés à participer. C’est ce qui me motive à venir dans les universités ou les grandes écoles pour apporter un éclairage différent, pour inciter les professeurs et étudiants à observer leurs questionnements à la lumière de l’aikido. Bien sûr, je n’y viens pas faire une démonstration scientifique mais exprimer un point de vue en incitant chacun à le juger et y confronter le sien. Cette posture d’orateur qui affirme a pour objet de montrer qu’il existe une grande différence entre expérience et savoir. L’enseignement d’un savoir interroge la capacité à apprendre, la communication d’une expérience personnelle interroge l’être. Convaincre en tentant d’étayer un point de vue par des preuves considérées comme irréfutables mais qui ne sont elles-mêmes que les avatars d’autres points de vue implicites relève de l’un quand convaincre par sa propre conviction relève de l’autre. La conviction est le fruit d’un travail interne, expérience directe de l’objet, présence à celui-ci, conscience de la transformation de soi par l’objet même de sa recherche. Elle est communicative et c’est là qu’avec une naïveté assumée je m’appuie pour exprimer mon point de vue et avant celui-ci, mes questions.
Certains verront dans mes déclarations et leur cheminement une certaine utopie, un excès d’idéal.
L’optimisme est un puissant facteur d’action et d’apprentissage. Il ne se décrète pas mais il s’élabore lui-même dans une conscience ayant l’expérience de son propre changement. Celle-ci sait qu’elle peut modifier le monde puisqu’elle peut changer le paradigme dans lequel il se produit. Une telle liberté éloigne des craintes inconscientes et agit comme un puissant pacificateur. Il s’agit donc bien de faire du budo le moyen de ce changement, d’une attitude révulsée marquée au sceau du pessimisme ambiant vers une posture conquérante.

Utopie, angélisme me dira-t-on.
Ce sont les rêves qui font avancer le monde, le rêve est une des nourritures importantes de l’optimisme et de l’action. Un idéal a toujours l’air d’une utopie mais n’oublions pas qu’il s’adresse à ce qu’il y a de meilleur dans l’humain. L’idéal est une manière de rêver large qui révèle et sollicite la capacité à être heureux.

Le cœur de mon message nécessite au préalable l’exposé de quelques idées sur la violence, la culture, leur rapport avec l’identité et la conscience. Ce préalable, pas toujours facile, je l’ai déjà en partie exposé dans d’autres articles mais pour la cohérence de celui-ci, je vais devoir reprendre quelques idées. La difficulté est double : d’une part le sujet est complexe, d’autre part identité – violence – culture font l’objet de nombreuses idées reçues, d’un consensus général interdisant au fond de les questionner.

Je vous demande donc toute votre attention pour cette première partie de l’exposé même si celui-ci peut vous sembler parfois éloigné de vos préoccupations immédiates. Je n’ai d’autre but que de revenir à celles-ci avec un regard renouvelé. Les concepts que j’y développerai sont ceux qu’utilisait Kobayashi sensei ou leur extrapolation, c’est à dire qu’il s’agit bien des concepts de l’aikido appliqués. J’ai choisi ici un champ d’application qui concerne une majorité des lecteurs potentiels, le monde du travail.
Cet article est tiré d’une conférence destinée aux écoles supérieures de commerce qui portait le titre « créer, commercer, manager sans violence ». Elle a eu un certain succès et j’ai recueilli de nombreux témoignages disant que mes idées faisaient mouche et renouvelaient le discours habituel. Je n’en tire aucune gloire personnelle, il s’agit simplement de faire de l’aikido dans un autre cadre que le dojo, ou peut-être de transformer l’entreprise en dojo, c’est à dire de faire du travail un outil de réflexion et d’évolution des individus et des groupes.
L’honnêteté m’impose de vous dire qu’au titre « créer, commercer, manager sans violence », j’aurais dû ajouter en première place « gouverner sans violence ». En effet, c’est le pré-requis pour qu’une société puisse agir pacifiquement. J’ai volontairement omis ce point-là pour ne pas entrer dans un discours particulièrement polémique à un moment où la violence semble devenue le principe même des gouvernements.

Comme j’espérais par mes conférences convaincre des manageurs de l’utilité des budo dans leur vie et leur travail, j’espère vous convaincre, vous les aikidoka, de l’utilité de votre pratique dans votre vie, bien au-delà d’une bonne suée et d’un anti-stress, au-delà des bienfaits de la convivialité. Je veux vous dire que l’aikido peut être pratiqué partout et qu’il est utile partout dès lors qu’il est vécu comme une voie. J’espère à travers cet argument faire émerger les changements que doit opérer notre monde s’il veut survivre à lui-même.
Le texte suivant est composé en partie des notes de ma conférence que j’ai rédigées pour les rendre lisibles et de commentaires ajoutés quand ils m’ont semblé utiles ou nécessaires. Je prie donc le lecteur d’être indulgent quant à la forme.

Le questionnement concernant la violence semble actuel. Il est massivement orienté vers des faits de société spectaculaires qui ne sont que les manifestations extrêmes d’une violence omniprésente dans toute situation relationnelle. Je ne vais pas vous donner des recettes mais essayer de provoquer des réflexions. En effet réfléchir à la violence me semble plus efficace pour la faire reculer que la condamnation a priori à laquelle se livre toute âme bien pensante et qui clôt tout débat.
En tant que pratiquants d’arts martiaux, la violence et le conflit sont les matières que nous travaillons quotidiennement. Même si l’activité de l’enseignant est importante, le véritable apprentissage du budo est avant tout une auto formation, une succession d’expériences proposées par le maître que l’élève accepte ou refuse. C’est pourquoi je considère comme essentiel de donner des questions plutôt que des réponses et rejette les attitudes convenues aboutissant à la pensée unique interdisant tout questionnement. 

Le conflit

Le principe fondateur de toute culture, aujourd’hui comme autrefois, est la violence. Ce qui fait l’histoire, c’est la guerre sous toutes ses formes. Nos livres d’histoire sont écrits avec du sang, des famines, et notre temps n’échappe pas à ce qui semble être une règle.

La culture est un système qui doit défendre ses limites pour être. La violence peut donc être pensée comme légitime mais j’aimerais montrer qu’elle n’est pas indispensable et qu’il existe une attitude intérieure fondée sur une éthique qui peut faire naître une culture non-violente.
Les pré-requis à celle-ci sont un changement de point de vue sur le conflit et son rôle :

Le conflit doit être séparé de la violence, les exemples de conflits non-violents ne manquent pas dans la nature. Le soleil et la terre luttent en permanence, l’un faisant s’évaporer l’eau que l’autre rappelle par la gravitation. Cette tension équilibrée, deux forces exercées en sens opposé, est créative. Quand elle se déséquilibre, on assiste au désert ou à l’inondation.

Le conflit est le principe vital et en ce sens il est partout et dans toute relation. Tout ce qui apparaît disparaît. Votre disparition a commencé le jour de votre conception. Vous voyagez en même temps dans les deux sens sur le cours de la vie. Ce conflit entre vivre plus et ainsi se rapprocher de sa mort est universel. Vivre nous impose une dépendance à la nature et aux autres. Pourtant, le principe même de l’être est son individuation par sa transformation. Celle-ci n’est possible que grâce et dans l’altérité. Ainsi, nous sommes soumis à ce conflit intérieur qui oblige chacun à être de plus en plus soi-même en intégrant de plus en plus d’autre. Tout ce qui est utile est dangereux. Le feu vous chauffe et cuit vos aliments mais il peut aussi vous détruire, l’eau vous donne sa vie mais elle peut vous tuer, le volcan dévaste son environnement mais cette dévastation le fertilise, cette arme peut vous servir à défendre vos enfants mais un intrus s’en servira contre vous, etc., etc. Tout ce qui est, est conflictuel mais pas nécessairement violent. La violence est l’expression du déséquilibre des forces de vie.

Le conflit est créateur : l’un naît du deux. Chacun de nous est issu de deux parents, de deux familles qui se reproduisent. Chacun a le devoir d’assumer la continuation de l’histoire des deux familles dont il est issu mais il n’a qu’une vie pour cela. Il porte l’altérité dualiste en lui pourtant il a aussi le devoir d’unité pour penser, créer, être accessible aux autres. Toute unité appartient à un ensembl …


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