Le point de vue d'André Cognard


André Cognard à bourg Argental 2011

Chacun est libre de penser l’aikido. Certains le conçoivent comme un sport, libre à eux de le voir ainsi, d’autres comme une gymnastique ésotérique, d’autres encore comme de l’expression corporelle à deux. Mon point de vue est le suivant et je l’exprime dans cet article car j’y suis invité par le rédacteur en chef de cette revue au travers d’une amicale provocation : est-ce que je crois que pratiquer l’aikido peut influencer positivement la vie de tous, même de ceux qui ne pratiquent pas ?
 
Il est difficile de répondre à cette question sans préciser d’abord le regard que je porte sur la pratique en général et l’orientation de mon travail.
Pour moi, l’aikido est un budo et doit le rester. Si on lui retire son essence martiale, il ne sert plus à rien.

Harmoniser des situations que l’on pose a priori comme non conflictuelles me semble être le comble de l’inutile. il est évident que la recherche d’harmonie doit s’exercer dans le champ du conflit et même de la violence.
Affaiblir l’attaque en la conditionnant, éliminer toute velléités de résistance de l’attaquant par une doctrine, serait-elle fondée sur la meilleure intention, relève du déni.
Je suis atterré par ce que j’appelle un consensus pathologique, je veux dire ces conventions implicites et souvent inconscientes qui font qu’un uke chute dès qu’il perçoit un signal de la part de shite. Je dis consensus pathologique aussi parce que ces signaux sont repris, copiés et qu’un code inconscient se répand chez des pratiquants, créant ainsi des espaces interactionnels hors du réel, et en toute bonne foi. Les règles qui s’y appliquent sont inconnues et inconnaissables. Elles sont édictées par une instance qui naît de la mise en commun des inconscients, elles donnent pour vrai ce qui ne l’est pas, et quand les auteurs de ces chimères sont sommés par qui que ce soit, y compris par leur propre raison, de justifier le code qu’ils appliquent, ils ne peuvent rien faire d’autre que dénier tout principe conflictuel pour maintenir l’apparence d’une cohérence, et dénier même l’existence du code.

L’aikido est efficace quand il est pratiqué correctement et son efficacité est multiple. Il est efficace dans un combat entre humains, il l’est dans la lutte intérieure à laquelle chacun est inexorablement exposé, il est efficace dans ce rôle apotropaïque, faisant l’objet de la question de Horst.

Certains me diront que s’exercer à une technique de combat archaïque dans un monde où les armes à feu prolifèrent est tout à fait inutile et j’en conviendrais aisément si ce n’était que la recherche de l’efficacité martiale en taijutsu comme aux armes est la mise à l’épreuve du réel de la stratégie appliquée.
Elle est le moyen d’inscrire dans la profondeur symbolique cette stratégie qui devient dès lors structurelle et détermine le cours du destin de l’individu.
En effet c’est dans cette profondeur que les vrais choix se font, et ils se font indépendamment de la conscience psychique du sujet et donc de sa pensée, quand celle-ci ne peut y concourir.
L’instance décisionnaire ultime est l’esprit lui-même.

La dimension spirituelle de l’aikido ne se fonde pas dans une croyance ou une doctrine, même si le fondateur O sensei le pensait. Faisons-lui le crédit de la sincérité et laissons de côté tout mysticisme. Kobayashi sensei disait d’Omotokyo que c’était l’erreur de O sensei et le poison de l’aikido. C’est un point de vue que je partage en l’élargissant à toute forme de mysticisme et de doctrine religieuse.

Ce qui fonde la dimension spirituelle de l’aikido, c’est précisément le fait que l’attaque soit réelle. Je l’ai déjà écrit souvent, la conscience psychique peut relativiser devant l’attaque : « je suis dans un dojo, l’attaquant est un ami, il n’a aucune intention de me tuer, etc. » mais le corps ne le peut pas. Quand le sabre de seme part avec force, le corps vit la pénétration potentielle de celui-ci et sa propre division. C’est cette perception anticipée qui déclenche les réflexes défensifs. Si l’on élimine la puissance, la vitesse, la virulence de l’attaque, on n’active pas ces réflexes défensifs et on ne peut pas travailler sur sa propre violence.

En aikido, il s’agit bien de ne pas répondre violemment à une attaque violente, c’est-à-dire de prendre le contrôle de sa réactivité défensive qui est la cause unique de la propagation de la violence dans le monde. Toute violence peut être légitimée par la défense d’une identité, d’un lien, d’un amour mais aucune n’est légitime au plan universel. Ceux-là mêmes qui l’exercent en subissent les conséquences néfastes.
Chaque blessure infligée à un être fait souffrir le monde entier.

Rien ne peut créer plus de violence que le déni du conflit.

Nous venons d’assister encore à une série d’actes terroristes absolument abjects que l’émotion et la raison nous commandent de condamner mais est-ce suffisant ? Ne devons-nous pas aussi en chercher les raisons plutôt que les justifier par la folie, le fanatisme? Car, devant la monstruosité, nous réagissons légitimement par l’horreur, et pour maintenir notre cohérence identitaire, nous enfermons dans l’idée « folie » ce qui nous apparaît comme inexplicable mais qui porte en réalité le fer dans la plaie ouverte en nous et dans notre société par le déni du conflit.

Cette tendance qui est générale de dénier la violence, en particulier la violence potentielle existe précisément parce que la violence est omniprésente dans nos vies et de plus en plus prégnante. C’est une protection que nous exerçons pour nous maintenir en face de ce que nous percevons de manière anticipée comme pouvant nous détruire.
Cette affirmation « la violence est omniprésente et de plus en plus prégnante dans nos vies » mérite un commentaire.
Dans une société traditionnelle, une partie de la violence potentielle est polarisée par des rituels. Les relations sont équilibrées grâce à des hiérarchies et des limites sont posées entre les individus par l’organisation sociale. Enfin, les groupes constituent des espaces de sécurité et dans le cercle familial, le père incarne une autorité assumant la responsabilité, ce qui est rassurant pour les autres membres de la famille, et un guerrier capable de défendre femme et enfant. Cette posture de guerrier impose des comportements prudents pour les étrangers à la famille quant à leurs relations avec les membres de celle-ci. Tout ceci crée une cohésion dans un peuple et ainsi les individus peuv …


Lisez plus dans l'AJ 56FR

© Copyright 1995-2024, Association Aïkido Journal Aïki-Dojo, Association loi 1901