Professionnels et amateurs en Aïkido


Léo Tamaki - 1 mai 2013 Paris ©

L’enseignement de l’Aïkido dans le monde se partage entre professionnels et amateurs, ces derniers représentant sans surprise une très large majorité. Loin de faire exception, la France, au premier rang des nations en terme de pratiquants, voit le nombre des professionnels stagner, et peut anticiper sa diminution dans un futur proche. Rejoint-elle ainsi ou s’écarte-t-elle des traditions martiales ? Quelles sont les raisons de la situation actuelle? Est-ce une évolution souhaitable ou à redouter ?






Un peu d’histoire
La pratique martiale est un monde où les idées reçues ont la peau aussi dure qu’elles sont nombreuses. L’une d’entre elles veut qu’un véritable maître d’arts martiaux soit désintéressé, une sorte de sage n’aspirant qu’à vivre en haillons dans les bois, se nourrissant d’herbes et d’eau fraîche tout en conversant avec les oiseaux. Un mélange de maître Yoda mâtiné de maître Po de la série Kung Fu, et, bien évidemment, de Ueshiba Moriheï. La campagne japonaise était-elle donc peuplée d’ermites maîtres en arts martiaux ?

Les enseignants de Bujutsu du passé étaient employés par des clans, et/ou possédaient leurs propres écoles. Certains, tels les maîtres du clan Yagyu, étaient eux-mêmes des seigneurs. Professionnels, ils vivaient confortablement, voir avec grandeur pour les plus célèbres dont la renommée équivaudrait à celles de grands sportifs actuels. Tsukahara Bokuden, fondateur du Kashima Shinto-ryu, se déplaçait par exemple avec 80 suivants, des chevaux de rechange et un aigle au poing.
Si tous les adeptes n’eurent pas, loin s’en faut, les moyens d’un Bokuden ou d’un Yagyu, en tant que professionnels ils cherchèrent, sinon la richesse, du moins une situation leur permettant de vivre de leur art et de l’approfondir. Le maître vagabond, image romantique s’il en est, ne peuplait que l’imaginaire des romanciers. Son incarnation la plus célèbre, Miyamoto Musashi, fut d’ailleurs loin d’être le nomade sans le sou que décrit Yoshikawa Eïji. Etablissant sa première école avant d’avoir trente ans, Musashi fut ensuite au service ou invité de divers seigneurs. Il vécut confortablement, faisant en outre en sorte de trouver d’importants postes de vassaux à ses deux fils adoptifs.

De Iizasa Choïsai Ienao à Takeda Sokaku, en passant par Tsukahara Bokuden, Yagyu Muneyoshi, Miyamoto Musashi ou Yamaoka Tesshu, une étude sérieuse nous permet de constater que les grands adeptes qui marquèrent l’histoire des Bujutsu japonais furent des professionnels vivant de leur art.


Et Ueshiba Moriheï ?
Ueshiba Moriheï naquit dans une famille extrêmement aisée. De par son père, mais surtout de par son oncle qui le finança durant une grande partie de sa vie. C’est grâce à leurs fonds qu’il put monter son expédition dans le Hokkaïdo, et grâce à leur argent encore, qu’il put payer les sommes colossales que coûtaient les cours de Takeda Sokaku. Peu après ses trente-cinq ans, il devient enseignant professionnel, notamment grâce à l’ouverture du Ueshiba Juku. Dès lors et jusqu’à sa mort, il sera un professionnel des arts martiaux, vivant grâce aux dons de ses élèves, et de diverses sociétés et associations. La famille Ueshiba accumulera une fortune colossale de son vivant, permettant la création du Hombu dojo de l’Aïkikaï, une extravagance dont on à peine à imaginer ce qu’elle représentait à la fin des années soixante. L’Aïkikaï, comme chacun sait, prospère encore de nos jours.

Jusqu’à Ueshiba Moriheï, la longue tradition martiale japonaise repose donc sur des lignées d’enseignants professionnels. Le monde ayant évolué, la pratique martiale s’est démocratisée, aboutissant à l’apparition d’enseignants amateurs. Si cela a des avantages indéniables, quelle serait la conséquence de la disparition des professionnels ?


A-t-on besoin de professionnels en Aïkido ?
Il est évident que l’Aïkido peut, pendant un certain temps, être étudié avec un enseignant amateur. Je préciserai toutefois qu’il me semble important qu’un pratiquant soit mis au plus vite, même de façon brève et occasionnelle, au contact d’un adepte de haut niveau, par exemple à l’occasion d’un stage. Sans doute ne comprendra-t-il rien de ce qu’il réalise. Mais son horizon qui était délimité par son enseignant prendra immédiatement une profondeur inattendue, et libèrera ses progrès. Son professeur qui représentait un sommet qu’il imaginait sans doute mal que l’on puisse dépasser, prendra sa véritable place, celle d’un pratiquant plus avancé qui saura le guider vers les hauteurs qu’il aura découvertes.
S’il est donc acquis que l’on peut étudier avec un enseignant amateur, que représenterait clairement la disparition des professionnels? Tout simplement une baisse générale du niveau des pratiquants, mais surtout, de la discipline elle-même. Des savoirs disparaitraient, les capacités régresseraient, et l’Aïkido, désormais moins efficace dans tous ses domaines de compétences, entrerait dans une phase de déclin qui se terminerait probablement par sa disparition.
Mais qu’est-ce qui distingue réellement un professionnel d’un amateur ?


Professionnel et amateur, quelles différences ?
Le mot amateur a plusieurs définitions. Celle d’une personne aimant une chose, et celle d’une personne s’adonnant à une activité par plaisir, sans en faire une profession. Il y a par ailleurs un sens péjoratif, qui ne m’intéresse pas ici. En France les amateurs représentent la quasi-totalité des enseignants en Aïkido. Il s’agit de passionnés qui pratiquent en dehors de leurs heures de travail, et n’en tirent pas un revenu principal. Leur présence permet à l’Aïkido d’être pratiqué par le plus grand nombre aux quatre coins du pays, et a permis un développement important de la discipline. Leur présence est bénéfique et souhaitable pour l’Aïkido et ses pratiquants.

Un professionnel se définit comme celui qui fait profession d’une activité, qui l’exerce de manière compétente. En un mot, qui fait preuve de professionnalisme. Mais cette catégorie est loin d’être homogène, et on distingue très rapidement deux groupes, celui des enseignants professionnels, et celui des enseignants de haut niveau.
Les enseignants professionnels forment évidemment le groupe le plus important. Vivant de leur enseignement, ils multiplient les heures de cours, permettant ainsi aux élèves passionnés de pratiquer à volonté. Les professionnels de haut niveau sont bien plus rares. Les plus célèbres en France, Tamura Nobuyoshi, Noro Masamichi ou Christian Tissier, ont permis de transmettre et faire évoluer la discipline grâce à leur tra …

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