La chronique Aïkï

SEXE ET AÏKIDO SEXE IN THE TATAMIS


Olivier Gaurin à Tokyo

Dans le dernier numéro de ce journal, et dans ma chronique, j’ai prononcé le mot « jouissance », ou même « Orgasme », à propos de « la cuisine particulière du KI en Aïkido » (Aïkido-journal N° 47 (fr) page 26 »). L’Aïkido a-t-il ainsi à voir avec le sexe ? Amusante question. Le titre de cette réflexion d’alors pourrait en effet faire croire que je vais maintenant parler de sexe comme on en parle dans les vestiaires d’un terrain de foot, au comptoir du coin de la rue, dans la chambrée d’un internat d’adolescentes, dans un magazine people « croustillant », ou comme le pourrait montrer encore un documentaire sur « l’érotisme au cinéma de son origine jusqu’à nos jours »… Parce que c’est vrai qu’on retrouve en Aïkido aussi ces œillades particulières, ces approches complices, cette sensualité du toucher par exemple, des échanges qui finissent aussi parfois par de grandes amitiés, des rendez-vous sur l’oreiller, voir même des mariages à la clef. Mais Je me suis plutôt posé la question des rapports hommes/femmes, non forcément « sur » le tapis mais sous l’angle d’un phénomène ethnologique plus général. Oh, et à première vue donc et c’est vrai, rien de bien différent de ce que je viens de décrire et qui se passe dans un biotope quelconque: une école, dans une entreprise ou toute autre activité sociale qui réunit les genres féminin et masculin (sans penser ici à une caractéristique purement masculine d’ailleurs, les femmes n’étant pas du tout en reste en la matière – merci, je suis au courant - sinon souvent sur des rapports d’objectifs différents, ce qui est là aussi naturel). Rien de différent, oui, hormis cette caractéristique catalytique pour ce qui concerne les activités physiques, et donc l’aïkido : une sorte de « subtil contact organique dans l’exercice » qui en dit toujours plus long sur chacun d’entre nous (sur nos genres) et surtout plus long sur nos « signaux d’émissions », souvent des « appels sexués » finalement («sex-appeal » en anglais, n’est-ce pas). En tout cas cela en dit plus long qu’un froid rapport mathématique d’ingénierie sur les locomotives à vapeur (et j’emploie le mot « locomotive » à dessein ici, en pensant par exemple à « l’entraînement locomotive » aussi en aïkido, lui aussi très jouissif, à la limite souvent de l’extase obsessionnelle, très proche finalement d’un acte sexué également).

Je ne reviendrai donc pas sur ces points typiquement érotiques de l’aïkido, si évident sans doute pour toutes et tous. Je ne reviendrai pas non plus sur « l’aura » sexuée de beaucoup de Senseï, ou le regard idéalisé, hébété, de certaines pratiquantes d’aïkido sur ces « stars », ces « leaders », un aïkido, il faut le dire, très « macho » à l’heure actuelle (l’aïkido des Senseï de sexe féminin nous montre d’ailleurs le plus souvent très bien ce machisme patent : ces femmes – enlevez les cheveux longs – on dirait des hommes dans leur façon machiste d’aborder l’aïkido ou leur enseignement le plus souvent!).

AVOIR LE BOURDON

Non, et pourtant, alors que j’avais un peu oublié la question, un matin de cet été 2013 au dojo de l’Aïkikaï, juste avant le cours de 6h30, j’ai vu une sorte de gros papillon bedonnant qui voulait entrer dans le dojo par une fenêtre. Seulement de l’extérieur ce bourdon butait et butait encore contre la vitre, car cette fenêtre était, malheureusement pour lui, fermée. Cela dura assez longtemps et sans cesse il se cognait et revenait contre la vitre et se cognait encore, comme attiré de façon irrépressible. Allez comprendre…

Cet événement anodin m’a fait réfléchir, réfléchir à notre entraînement aussi : « Comme ce lourd papillon, ne butons-nous pas aussi, finalement, dans notre aïkido, contre un obstacle invisible ? Ne sommes-nous pas, nous, de même, têtus dans notre façon de nous entraîner à buter contre cet obstacle aïki, ou sur « l’autre » même, « autrui », sans comprendre que d’autres voies bien plus simples s’offriraient à nous si nous les cherchions ? Ne croyons-nous pas finalement, et comme le disait Spinoza, à une liberté (notre si chère liberté individuelle), tout en ignorant pratiquement tout des causes qui pourtant nous déterminent? », voilà ce que je pensais alors ce matin-là en voyant cet insecte buter contre la fenêtre…

Car dans cet entêtement du bourdon je voyais notre rapport au monde, nos rapports à « l’autre », une sorte d’accent sexuel de notre pratique en fait. Parce que, et j’ai envie dans cet article de commencer par ma conclusion tellement cela me sembla alors évident : en aïkido, comme dans toute relation à autrui – sociale, amicale, amoureuse, sexuelle, etc. – c’est notre rapport cru à l’autre qui détermine tout. Et c’est d’ailleurs pour cette raison que des codes sociaux habillent et maquillent nos vies : pour « gommer ces contacts animaux », parfois très fins, certes, mais souvent brutaux s’ils ne sont pas adéquats.
Il y a donc toujours cette « vitre », ces «heurts », cette irrépressible volonté de « passer » à travers « quelque chose de l’autre » ou en l’autre pour l’échange. Il s’agit bien de pénétrer ou recevoir – excusez l’image mais c’est bien de ça dont il s’agit – d’un autre, qu’on ne sait pourtant pas définir très bien mais qui nous détermine en premier ressort, comme une complémentarité ressemblante à nous-même (Platon parla très justement de cela autrefois. Voir ou relire « Le Banquet » si vous pouvez en comprendre le sens) …


JOUER - JOUIR

Ainsi « enseigner » : je disais récemment à un pratiquant russe qui me remerciait en fin de cours de lui avoir enseigné « des choses » : « non, mon ami, « enseigner », certainement pas, c’est impossible, aucun homme ne peut dignement enseigner à un autre quoi que ce soit sinon « ce qui l’empêche de jouir de lui-même » (la vitre contre laquelle, lui, il « bute » ). L’enseignant, il peut juste donc et au mieux tenter de « jouer », « laisser jouer », « laisser désirer » (je rajoute ici pour vous : on retrouve là et par exemple dans ce « laissez-les jouer», au sein d’un cadre sécuritaire, l’un des propos phares de l’enseignement dit « Aïkikaï », ce qui est généralement très peu compris), ou éventuellement le secourir (et je rajoute encore : lorsque je dis « secourir », ne peut-on secourir… que  « celui qui le désire ». « Désir » : Nous verrons plus loin que nous retrouvons là aussi notre papillon…). Car en cela tout enseignement tel qu’on le voit couramment est une sorte de « fake ». C’est une fable. C’est une véritable « fourberie de Scapin » (regard interrogateur de mon Russe, et pour cause !). C’est une tentative de diversion, une tentative de canalisation, certes, mais surtout et de fait, une tentative de détournement aussi ».

En sexologie par exemple, il s’agirait ici de montrer non « comment il faut jouir», mais plutôt « comment il est possible de jouir ». C’est une énorme différence. En langage amoureux – aurait dit Barthes – il s’agit non pas d’imposer une sorte d’amour plutôt qu’une autre, mais de mettre en avant des probabilités d’entente amoureuse, des « combinaisons amoureuses » cohérentes. C’est aussi très différent. En matière de relations sexuelles – autre exemple – il s’agit encore une fois et pareillement de ne pas imposer pour une femme ou un homme ses propres critères de jouissance à l’autre sous prétexte d’une jouissance unilatérale de lui-même (car alors on touche ici à la perversion pure, même si l’autre est a priori d’accord pour s’y conformer (puisqu’alors il s’agit le plus souvent d’une perversion aussi, peut-être d’un autre ordre, mais de toute façon exploitée elle aussi par les deux). Et vous voyez ici que ce sont encore deux approches très différentes.

RELATION AMOUREUSE

Et donc en voyant mon papillon contre la vitre, j’ai pensé à une relation amoureuse. Oui, c’était un peu la même chose, et pareil aussi à une relation sexuelle. Curieux, n’est-ce pas, ce paradoxe du papillon, si représentatif de nos affections et de nos actions aussi: cet autre que « j’aime », que je veux aimer, et contre lequel je finis toujours par « buter », au sens figuré comme au sens propre. On voit ici, dans ce « coin » de ma vision, que le message conceptuel de l’aïkido a sa place, tient sa place ; et cette place, c’est cette idée du passage, du « faire passer », et finalement du « je passe en toute sécurité », en « bon-heur » pourrait-on dire.
Et pourtant, ne croyons-nous pas, comme je le disais, à notre liberté tout en ignorant pratiquement tout des causes qui nous déterminent ? Je pense que personne de sensé ne peut douter du bien fondé d’une telle réflexion. Et pourtant une pareille évidence ne l’est pas tant qu’on ne l’a pas dite. C’est donc une fausse évidence, ou plutôt une évidence cachée que notre aïkido dévoile pourtant et presque toujours ; car cela signifie que c’est notre rapport à autrui, …


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