Projeter sans contact

Je dois avouer que la proposition de Horst m’a laissé un peu perplexe : « projeter sans toucher »


André Cognard à Bourg Argental

Bien sûr, je connais ces occurrences particulières au cours desquelles un imprévu spatiotemporel, un timing très légèrement différent de celui que j’avais prévu m’ôte la possibilité du contact avec mon uke alors que celui-ci, pris dans l’aspiration, chute comme si le contact avait eu lieu. Je connais aussi ces moments d’enthousiasme durant lesquels l’uke fonce dans l’attaque et est victime de sa propre dynamique à cause d’une simple esquive. J’ai l’habitude de jouer avec le temps, de provoquer chez mes uke des contretemps qui les conduisent à une vraie désorientation spatiotemporelle avec une perte des repères d’équilibre. Ils n’ont alors d’autre choix que de suivre une main qu’ils ne toucheront pas mais qui reste leur seul appui et les conduit à une chute organisée, préférable à une chute sans repère. Ce sont des moments inoubliables permettant des échanges profonds entre les partenaires. Généralement, le sentiment de transgression des règles spatiotemporelles ordinaires emplit de joie, et la perception de la présence et de l’action de l’autre, hors du cadre habituel, crée une complicité que je qualifie de spirituelle. En effet, cette expérience du contact sans contact, même si elle est tout à fait ordinaire en ce qui concerne les échanges verbaux, a ceci d’exceptionnel quand elle se produit entre les corps en mouvement : les liens entre les partenaires sont assurés par une profondeur de la conscience qui n’est guère perceptible dans la vie quotidienne. Le psychisme étant mis en déroute par la complexité d’un timing imprévu, le corps exerce le réflexe défensif tout à fait normal de régression. En effet, chaque fois que l’intégrité identitaire est menacée, ou simplement mise en question, un réflexe de préservation de soi se déclenche. C’est un mouvement qui concerne toutes les formes de vie et toutes les espèces. C’est le réflexe de survie intérieur. Je l’imagerais de la manière suivante : « Je ne peux plus être dans cet instant ce que je suis à chaque instant, je ne peux plus me représenter comme je me sens être ordinairement, alors je me représente comme ce que j’étais juste avant ».  Une autre image plus simplificatrice mais plus accessible : « L’arbre fruitier connait sa floraison puis donne ses fruits mais le changement de temps lui impose de régresser au tronc et aux branches. Quand la foudre le frappe ou quand le poids de la neige le prive de nombre de ses branches, s’il parvient à régresser à sa racine, il se sauve ».
L’uke a projeté mentalement une image de l’interaction avec shite à l’instant où il attaque.
Il a instinctivement intégré la distance, la vitesse, et anticipé inconsciemment les déplacements de shite. Il a déclenché son mouvement, mettant en action toute sa structure psychomotrice à partir d’une représentation de l’interaction imminente. Et tout à coup, shite modifie par un acte inopiné toute la structure spatiotemporelle, rendant la représentation qui sous-tend l’action d’uke inadéquate. Le réflexe universel de préservation de soi se produit automatiquement et il utilise pour maintenir sa cohérence et garder le contact avec lui-même une représentation archaïque, la seule dont il dispose dans sa mémoire profonde, celle d’avant sa conception. Nous avons tous, enfoui dans les profondeurs de notre conscience, le souvenir d’avoir été désincarnés. Dans le Bardo, c’est l’âme qui maintient la cohérence identitaire. C’est ce souvenir qui permet l’abstraction en laquelle consiste la pensée. Sans elle, nous serions incapables de ce processus de désincarnation que constitue la pensée. C’est pourquoi la rencontre avec shite est dans un tel cas une rencontre d’âme à âme. Kobayashi senseï nous conseillait de nous y préparer avec cette phrase don


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