Que peut l’aïkido contre la violence ?

Chacun peut être en droit de se questionner sur l’utilité d’une pratique martiale telle que l’aïkido.


André Cognard à Bourg Argental 2011.

Ses bénéfices en matière de santé et les réponses qu’elle apporte en ce qui concerne les relations justifient amplement les efforts que fait le pratiquant mais la question de la martialité reste posée. D’autres pratiques corporelles peuvent revendiquer les mêmes bienfaits tout en excluant les risques liés à l’exercice martial. D’autres activités présentent des avantages analogues à ceux-ci sans imposer une discipline. Elles mettent au contraire en avant des aspects ludiques bien en accord avec une insouciance que notre société affectionne et qui est perçue comme un signe de liberté.
Cette insouciance, ce « vivre-facile », sont aujourd’hui sérieusement remis en question par le terrorisme, les conditions économiques et sociales. La menace liée aux épidémies successives (grippe aviaire, Creutzfeldt-Jakob, Chikungugnya, etc.) crée une forme d’insécurité qui n’épargne personne.
La réponse des pouvoirs publics, largement relayée par les médias, est toujours une réplique immédiate, superficielle, une réaction a posteriori quand il ne s’agit pas d’un déni de réalité ou d’un mensonge.
Nous savons en tant que pratiquants d’arts martiaux que réagir induit des gestes défensifs voués à l’échec. Nous savons que l’efficacité se trouve dans l’anticipation et la conservation de l’initiative.
Nous savons qu’il ne faut jamais laisser gouverner la peur.
Pourtant, nous sommes de plus en plus confrontés à l’évidence du règne de la peur. Que pouvons-nous mettre en avant pour ne pas nous soumettre, ni au terrorisme islamique, ni à l’empire de la peur ?
C’est peut-être là que l’aïkido, en tant qu’art martial, apporte des réponses. Elles sont de deux types. D’une part, il y a les valeurs du budo qui ont au moins l’intérêt d’introduire l’idée de valeur comme moyen d’organiser sa conscience et le monde dans lequel nous vivons. D’autre part, il y a la stratégie de l’aïkido qui impose tout à la fois un comportement face à l’adversité et ses effets mais aussi une réflexion quant à notre relation avec celle-ci.
Les valeurs du budo sont certainement bien connues du lecteur et je vais en évoquer quelques-unes pour mettre en évidence leur importance dans ce que je nommerai le comportement du budoka.
Ce faisant, j’entends démontrer qu’une valeur est le signe de l’existence d’une règle, et c’est une valeur quand elle ne contredit la règle dans aucune profondeur. Entendez quand j’écris « profondeur » les différents niveaux de la manifestation de l’être.
Ainsi, selon mon point de vue, est une valeur ce qui ne va pas contre la pensée sur soi, contre la vie émotionnelle, contre la physiologie et l’esprit de l’individu et qui ne va pas non plus contre la vie des groupes humains, contre la nature, contre la spiritualité. La valeur unit toutes les profondeurs en manifestant la règle comme inhérente à l’identité de l’être, quel qu’il soit. L’harmonie résulte de l’expression de la règle.
Je parle de règle au sens universel, celle qui fait qu’un humain est né de la particule que vos parents vous ont donnée, que vos cellules ont su se comporter et s’unir pour devenir un foie, un cœur, un œil, que ces mêmes cellules sont d’accord pour rester unies et manifester ainsi votre identité unique. C’est aussi la règle qui fait que le jour succède à la nuit et que le printemps revient chaque année, que la conscience s’objective dans la pensée grâce au langage et que celui-ci véhicule du sens quand l’ordre des mots est respecté, quand celui des lettres l’est aussi, quand le silence et le son se succèdent sans se confondre. Nos corps apparaissent puis disparaissent, laissant la place à d’autres mais ce qui est éternel, c’est ce qui règle ces apparitions et disparitions et qui sait créer d’autres corps à l’image de ceux qui partent. Et ainsi de tout ce qui est.

Pourquoi s’attarder ainsi sur ces liens entre valeur et règle ?
Parce que notre choix est le suivant : ou bien nous élaborons une éthique personnelle qui reflète notre compréhension de la règle et la manifestons par notre attachement indéfectible à des valeurs, ou bien c’est la peur qui gouverne. La peur ne peut rien produire d’autre que le chaos.

Nous avons la croyance implicite que la paix est un état naturel que le conflit vient perturber. Une fois mené le combat engendré par le conflit, la paix revient naturellement. Le conflit serait une sorte d’accident dans la marche du monde qui serait a priori ordonnée.

C’est précisément le contraire que nous démontre la pratique martiale. La paix est un équilibre qui doit être maintenu, l’harmonie est le résultat d’un travail constant des consciences des sujets impliqués.
Le corps nous fournit un exemple de ce travail d’équilibration constant. En effet l’homéostasie est le résultat d’un travail permanent d’ajustement des différentes fonctions et ce travail est possible parce que le corps lui-même connaît les valeurs propices à son équilibre. Si vous deviez contrôler votre température corporelle ou votre rythme cardiaque par la volonté, les pertes de contrôle auraient des conséquences graves. Ce que nous nommons maladie, c’est le résultat de cette perte de contrôle par le corps lui-même, mais fort heureusement la connaissance des valeurs optimales, et donc la perception des dérèglements, est intégrée. Le corps en est le dépositaire et il lutte constamment pour le maintien de l’équilibre. Quand vous vous coupez, la cicatrisation commence, quand la fièvre augmente, la sudation tend à la contenir, etc.
De même votre équilibre en station debout ou en mouvement est le résultat d’un travail constant de régulation des antagonismes musculaires et cela est possible parce que le corps connait la verticalité, l’horizontalité, le plein, le vide et qu’il ressent la gravitation.

Eh bien, ce qui fait partie du corps, ce qui est évident pour lui, c’est ce qui est demandé à nos consciences. Mais, alors que les valeurs physiologiques sont dans le corps, les valeurs permettant l’équilibre des consciences ne sont pas automatiquement intégrées car elles se constituent dans les relations.
Oui, nos consciences doivent travailler sans relâche au maintien de leur équilibre pour préserver l’harmonie et se préserver elles-mêmes. Elles ont besoin pour cela d’outils de mesures, de repères pour pouvoir constater le dérèglement qui conduit à la violence. Ces outils que sont les valeurs se construisent en interrogeant son « être en relation ». Quels sont les actes que je m’autorise et, par conséquent, quels sont ceux que je m’interdis ?
Si je ne sais pas dire cela, comment puis-je savoir quand j’outrepasse mes limites ? Compter sur les autres pour nous « remettre dans nos limites », c’est accepter implicitement la violence comme moyen de gestion des conflits, c’est renoncer à la maîtrise de soi et de sa vie.
Le paradoxe est bien dans le fait que ce type de renoncement est systématiquement assorti de la volonté de maîtriser autrui. En effet, se sentant impliqué dans une situation de violence, bien souvent en n’en ayant que peu conscience, on développe tout l’attirail des défenses dont le plus évident est le contrôle a priori des actions des autres.

Ainsi, on peut constater actuellement que l’incapacité de faire respecter la loi par quelques individus conduit à l’augmentation constante de la contrainte sur d’autres. Combien d’entre nous envisageraient de ne pas payer le carburant qu’ils prennent dans les stations services ? Un sur dix mille, un sur cinquante mille ? Mais tous se verront bientôt contraints de payer avant de se servir parce que tous sont suspectés d’être malveillants. Combien d’entre nous envisagent de faire exploser un avion ? Un sur un million ? Mais tous sont soumis à la suspicion et à l’agression de la fouille au corps.
C’est ainsi : la peur engendre des actes qui se trompent toujours de cible. En agissant par n’importe quel moyen, on entre dans la spirale qui conduit inévitablement au chaos. Quand la conscience est hors d’elle – l’expression populaire est éloquente – « elle s’échauffe ». Elle aussi a la fièvre. Mais si elle considère qu’elle peut s’autoriser n’importe quelle action, elle ne sait pas qu’elle est hors d’elle. Si elle n’a pas posé des limites claires entre soi et l’autre, elle ne connaît pas les limites et la loi qui s’applique est celle de l’invasion et de la résistance à l’envahisseur. 

Heureusement, l’aïkidoka ne se soumet pas à l’envahisseur, à l’agresseur, mais ne s’autorise pas à employer n’importe quel moyen pour maintenir sa souveraineté sur soi. La construction d’une éthique qui sert de colonne vertébrale à l’identité, cela commence par poser soi-même des limites à soi-même. C’est à la fois la condition pour vivre en paix et pour vivre libre. La rectitude, vertu martiale par excellence, caractérise celui qui a su se donner des limites.
Le courage, autre vertu martiale, consiste à mener les combats nécessaires pour rester en soi, maître de soi en toute circonstance. Le respect, principe essentiel, nécessite rectitude et courage.

Je vais pas énumérer les vertus du budo que le lecteur connaît certainement aussi bien que moi mais je veux faire observer que toutes dépendent de ce que le budoka a construit une éthique dont le fondement est la définitio


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