­Une des préoccupations que l'on entend souvent exprimées par nos interlocuteurs est celle du professionnalisme en aïkido. Peut-on sérieusement enseigner l'aïkido sans en faire son activité principale, oui bien la nécessité de boucler son budget conduit-elle nécessairement à des compromis sur le contenu de l'en­seigne­ment. Enseigner l'aïkido est-il un sacerdoce, un métier, ou un passe temps ? Transmettre l'aïkido contre espèces sonnantes et trébuchantes est-ce le prostituer ?

    Dans ce numéro d'AïkidoJournal on peut lire que l'enseignant professionnel est menacé de succomber à la paresse, s'il n'y est pas condamné. Pour Tamura Senseï il semblerait qu'une des différences entre les deux fédérations serait le bénévolat des enseignants de l'une et le professionnalisme de ceux de l'autre.
Que l'on ne se méprenne pas sur les mots : autour de «professionnel» et d'«amateur» il y a une nuée de connotations qui sont utilisés par les uns et par les autres pour obscurcir le débat.
 
    Il ne s'agit pas ici, sauf à tomber dans la mauvaise foi, de mettre en cause le «sérieux» des amateurs  ou le «plaisir» à la pratique des professionnels. Il s'agit de se demander si la différence de statut – et encore, il faudrait prendre en compte toute une palette de situations intermédiaires – conduit à une vision et à un pratique différentes de l'aïkido et sa transmission.
Précisons ici que sur cette question notre religion n'est pas faites. Nous tendrions à adopter une position normande : «P't-êt' ben qu'oui, mais p't-êt' ben qu'non».

    Certes, et combien de fois ne l'avons nous pas entendu, une école d'aïkido, un dojo, se gèrent comme une affaire commerciale dont la viabilité dépend d'un bilan financier positif en fin d'année. Les élèves sont aussi des clients. Et le risque de penser en terme de marketing n'est pas négligeable. Cela est vrai de toute école privée, mais cela est vrai aussi des «Grandes Écoles» que sont les dojos centraux de tout courant d'art martial, que ce soit le Kodokan ou les Hombu Dojos des différents style d'aïkido, depuis le Shodokan (Tomiki) jusqu'à celui de  l'Aïkikaï.

    Le professeur d'aïkido qui, comme c'est souvent le cas en France, jouit de la sécurité d'un poste de fonctionnaire – dans l'Education nationale, par exemple – peut se permettre de développer son enseignement sans se préoccuper de plaire ou d'être populaire. Il bénéficie d'une liberté quasi totale pour mener sa recherche et de se laisser conduire par celle-ci dans quelque direction qu'elle pourrait prendre. A la limite, un bénévolat total permettrait une pratique (presque) gratuite. Au sens de «désintéressée, sans arrière-pensées» mais aussi au sens de «sans frais». Nous avons entendu dire que ce qui n'avait pas de prix ne saurait se vendre. Certes; mais ce qui n'a aucune valeur non plus.

    Un autre élément de réflexion, qui n'a pas de valeur normative, mais ne saurait être négligé, est la tradition même de la transmission des arts martiaux. Dans un contexte strictement militaire les maîtres d'armes font par définition partie de l'institution et, étant soldats, ont leur solde. Il en allait de même dans un temps plus reculé où chaque seigneurie, chaque féodal grand ou petit s'assurait les services d'un maître d'arme. Le passage des arts martiaux au «secteur privé», en Europe comme au Japon, mériterait une historiographie particulière.

    Mais on peut observer qu'au Japon, au cours du siècle dernier, s'est développée la profession d' «artiste martial». Takeda Sokaku en était un. Ueshiba un autre. Et que dire de toute la génération des ushi deshi d'après guerre qui sont partis de par le monde répandre la bonne parole? Si leurs situations sont diverses, propriétaire de leur dojo, salariés d'une fédération ou autre, ne sont-ils pas les professionnels absolus ? Et qui oserait prétendre qu'ils aient mis de l'eau dans leur aïkido ou qu'ils n'auraient plus plaisir à monter sur le tatami ?

    Mais peut-être qu'une dizaine d'années de pratique quotidienne, du petit matin à la tombée de la nuit, à l' «Université Ueshiba» font qu'ils constituent un cas à part ?

    Bien sûr, on pourrait balayer toute cette problématique d'un revers de main et proclamer que l'opposition amateur/professionnel est un faut débat attisé par des fomenteurs de bisbille. Voire. À creuser un peu la question, c'est la place même de l'aïkido, de sa transmission et de son développement dans une société «moderne» (autrement dit, dominée par le mode de production capitaliste avec tout ce que cela implique)  qui est là en jeu.        

Rédaction Aïkidojournal

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