Mon deuxième entretien avec Michel Erb - 2010, N°35FR

Il n’est pas nécessaire de pratiquer l’aïkido pour être un homme respectable et équilibré …


Michel pendant le cours … – 2009.

Lors de l‘anniversaire des 40 ans de l‘ACSA l‘année dernière, j‘ai rencontré Michel Erb et lui ai demandé pourquoi il n‘avait pas publié notre entretien [numéros 33DE et 2FR de 2002] sur son site web.

Après une brève réflexion, Michel a répondu que ses idées avaient certainement changé depuis lors. C‘est pourquoi il a immédiatement accepté une nouvelle rencontre pour un entretien.


Peux-tu nous dire comment a évolué ton travail depuis notre dernière interview il y a 10 ans ?

Je pense que mon évolution s’est située avant tout dans ma conception des choses. J’ai pris conscience que ma façon de concevoir l’aïkido allait dans le sens d’être un éternel apprenant.
J’ai réalisé qu’après toutes ces années je ne peux pas prétendre tout savoir. En réalité j’ai l’impression de ne pas savoir grand chose. Pour continuer à avancer, je garde cet esprit de l’apprenant, d’éternel chercheur en m’en donnant les moyens.
Je pense que la vérité n’est pas unique, chacun a sa propre vérité et il faut savoir accepter cela, écouter l’autre. L’écoute est tant verbale que corporelle et je fais ce parallèle avec l’aïkido qui représente l’expression du corps.
Tant dans les relations humaines que dans l’aïkido, ce travail sur l’ego est présent.
Depuis ces dix dernières années, j’ai pu éclaircir cette vision des choses, l’affiner et y travailler sans cesse.
Cette recherche va dans le sens de la recherche de la clarté : clarté dans la technique, l’aïkido est un support pour la technique, clarté dans les relations avec les autres, dans l’expression verbale. Supprimer les ambiguïtés, exprimer clairement son point de vue, tout en acceptant qu’il évolue avec le temps, éclaircir mon expression technique tant pour moi que pour mes élèves, voilà autant de directions que prend ce travail.

Qu’en est-il de ton travail avec Christian Tissier ?

Christian Tissier est un prof que j’estime énormément. Il a fait le bonheur de plein de générations d’aikïdokas et notamment de la mienne. Je le suis régulièrement en stage et je m’enrichis à chaque fois.
Son travail est en évolution permanente et cette évolution m’enrichit également.
Il représente un idéal, c’est une « Source d’inspiration » et c’est important d’avoir un repère comme lui.

J’ai vu Christian il ya quelques années à Nîmes – j’ai vu un changement total dans son mouvement…

Il y a 2 choses pour moi : les techniques et la façon de les exécuter, de les concevoir. Je n’ai pas vraiment changé ma façon de concevoir le mouvement. J’aime l’aspect martial mais je n’aime pas faire mal aux gens, je n’aime pas blesser juste pour montrer que ça marche.
Par contre, j’aime quand je sens ne serait-ce que dans l’entrée du mouvement, que sur le plan martial, c’est réglé. Tout le reste après l’entrée, c’est de l’aïkido communication, on communique avec son corps, avec le corps du partenaire, on essaie de trouver des positions, des angles, des distances, des repères. Mais il faut que d’entrée, au niveau de l’irimi, la situation martiale soit claire. Là aussi il faut que l’ambiguïté soit levée.
Je ne conçois pas une entrée dans laquelle la personne qui m’attaque puisse douter du fait que si elle n’est pas détruite, c’est un hasard. Il n’y a pas de hasard. Potentiellement, je dois sentir que je pourrai, à travers l’entrée, détruire la personne. Il ne s’agit pas de le faire, bien sur, car cela n’apporte rien mais avoir le placement, la détermination, la vigilance et tout ce que l’on veut qui permette de le faire.
Une fois que l’on est placé, que l’on est dedans, tout le reste doit s’adapter à la personne avec laquelle on est, tout en étant ferme et dynamique et présent dans la liaison que l’on a avec elle pour faire un mouvement qui réponde aux critères de la définition du mot aïkido : chemin, voie de l’harmonisation des énergies, du ki.
Cela ne sert à rien par exemple de casser un bras à quelqu’un lors d’une immobilisation, je veux dire c’est trop tard, c’est pas le moment. On peut utiliser une immobilisation pour faire des étirements, oui peut-être, mais sûrement pas pour aller infliger une douleur ou une blessure.
Cette façon de penser je l’ai toujours eu. Je n’ai jamais été dans un aïkido violent. J’ai toujours eu cette recherche d’être dans la dynamique, la clarté, pour que tout de suite, la position, la distance, le placement y soient. Il ne doit pas y avoir de doute.
Le reste, c’est on s’amuse. Quand je dis qu’on s’amuse, ce n’est pas péjoratif, on s’amuse signifie qu’on travaille et je crois que l’aïkido est une des choses qui, en tant qu’enseignant et aussi en tant que pratiquant et bien sur en tant qu’élève, apporte du bonheur.
Je crois que c’est important d’être heureux. La pratique nous apporte du bonheur, cela je ne l’avais peut-être pas compris avant. Le bonheur est important. Être heureux et même si cela paraît un peu simple, un peu simpliste même, je trouve que cela est important. C’est important également de rendre les gens heureux à travers l’enseignement que l’on donne.
Je crois que beaucoup de gens qui font de l’aïkido, moi en premier, ont besoin d’être heureux, d’être appréciés. Tout le monde cherche un peu l’amour, d’une manière universelle bien sur, donc on est tous un peu en quête de cela et je trouve que ce sont de belles valeurs. C’est beau aussi qu’en plus d’une technique martiale, en plus d’attitudes, de qualités corporelles et intellectuelles que l’on puisse développer à travers l’aïkido le fait de donner du bonheur tout simplement aux gens parce qu’ils en ont besoin. La vie n’est pas facile, au boulot ou à la maison cela peut être difficile. Je crois que l’aïkido, enfin le dojo, c’est un endroit où il est important en plus de la technique, de l’aïkido, de la façon d’enseigner, d’essayer d’amener du bonheur aux gens à travers la technique, à travers le mouvement. En fait il faut qu’ils se sentent mieux après le cours qu’avant et là je crois que l’on a en tant que prof réussi à leur donner un peu de bonheur, de joie, de plaisir.

Tu as réfléchi déjà une fois au travail interne …

J’y pense tout le temps parce que je crois qu’en tant que prof, au delà du fait de dire tu attrapes un bras, tu le retournes et tu bouges trois pas et tu tournes à droite, tu tournes à gauche, il y a plein de choses que l’on essaie de transmettre, que l’on sent à l’intérieur de soi. Cela est très dur à transmettre.
C’est déjà dur au début de l’identifier pour soi même : mais qu’est ce que je sens, mais qu’est ce que c’est cette sensation là, on parle de concept hara, de kokyu, de ki. Toutes ces choses, comment les sentir, comment savoir ce que c’est ? Je ne sais pas si j’ai envie de mettre des mots sur ce que je sens corporellement avec des mots classiques, standards, parce que je n’ai peut être pas le contexte culturel socioculturel japonais suffisant. Bien que j’adore le japon, j’y vais souvent, je ne suis pas japonais, donc j’ai du mal à identifier hara, kokyu. Je n’ai pas cette culture, je ne suis pas japonais, je préfère en parler avec les mots de ma culture que je maîtrise. C’est peut être la même chose, parce qu’on est tous des humains.

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