Dominique PIERRE AJ N° 42FR

Président de fédération européenne de Iaido – FEI.

Aikidojournal Interview

Je vais commencer par la question traditionnelle : comment avez-vous commencé l’aïkido ? Et pour quelle raison ?

J’ai démarré les arts martiaux dans les années 75 par le karaté. A cette époque il n’y avait pas beaucoup de clubs de karaté dans la région, le karaté était quasiment inconnu, et j’ai eu la chance de rencontrer un professeur qui était tout à fait à l’opposé de ce que l’on pouvait voir dans les films de l’époque. C’était un Occidental qui s’appelait Brucker et ce gars, un petit bonhomme, plus petit que moi, avait une volonté de fer et un mental d’acier. Il avait une pratique extrêmement dure, exigeante. Il ne faisait pas de cadeau et il était le 1er assistant de Maître Murakami.

A l’époque Maître Murakami pratiquait le karaté Shotokan, il est passé au Shotokaï après. Il était Shotokan pur et dur et je crois qu’il était un des premiers experts japonais invités par Henri Plée pour faire découvrir le karaté en France. Paul Brucker qui était également professeur de judo l’a rencontré et toutes les semaines, il montait à Paris suivre les cours de ce Maître. Quand il revenait ici à Nancy, il nous refaisait le cours qu’il avait suivi à Paris. Nous avons rencontré le Maître plus tard, et ont suivies quelques années de collaboration avec ce groupe. C’est comme cela que j’ai commencé les arts martiaux.

C’était en quelle année ?

De 1973 à 1979 à peu près. En 1981 nous n’avons plus eu de contact avec ce groupe. Encore une fois pour des raisons politiques et non pour des raisons techniques. Le karaté que l’on pratiquait à l’époque était un karaté tranchant comme une lame ; c’est-à-dire que si on l’utilisait, c’était qu’on avait atteint toutes les limites car c’était très dangereux. L’éthique de mon professeur ne permettait pas de l’utiliser, il fallait se maîtriser. Tout était difficile et dur mais il n’y avait pas d’alternative. C’est un peu comme une arme à feu : il y a tout un potentiel, mais il ne faut pas l’utiliser et le jour où on a lâché le coup on ne peut pas retenir les choses.
A cette période, Il y avait aussi dans le dojo un cours d’aïkido et quand on sortait de notre cours, je restais, je regardais l’aïkido. J’y voyais un autre art martial japonais. Je voyais une sorte de contrôle de l’adversaire sans le détruire. C’est l’image que j’en avais. Je les voyais se projeter aller au sol, effectuer un contrôle du poignet. Cela avait l’air efficace parce que tout le monde visiblement était contrôlé mais restait intact. C’était une réponse autre qu’une réplique violence pour violence. Alors cela m’a intéressé et je me suis inscrit à ce club. C’est comme cela que j’ai démarré l’aïkido. J’avais 20 ans, c’était trois ans après mes débuts dans les arts martiaux. J’ai continué le karaté, je continue toujours.
Ce professeur d’aïkido, Michel Coqueron, était le président de la région, il était 2ème dan – à l’époque, 2ème dan c’était…le summum. Michel Coqueron était un médecin, un ancien judoka qui s’était reconverti à l’aïkido comme bon nombre de professeurs de l’époque, qui une fois qu’ils avaient fait un peu de compétition et de jujitsu, découvraient l’aïkido. L’aïkido était moins violent, il y avait des projections, donc ils avaient un avantage car ils savaient chuter. Ils avaient aussi un bon sens du déséquilibre, donc c’était très compatible avec la pratique de l’époque. Une autre raison pour laquelle j’ai commencé l’aïkido est que le brevet d’Etat venait d’être mis en place en France, sous la forme d’un brevet d’Etat d’arts martiaux. Il fallait être ceinture noire dans sa discipline principale, et pratiquer 2 autres disciplines – donc pour moi, le judo et l’aïkido – à un petit niveau, mais cela voulait dire que l’on pratiquait les arts martiaux. Donc si j’avais envie de préparer un brevet d’Etat pour enseigner le karaté, il fallait aussi que je sois ceinture bleue de judo et d’aïkido. Nous suivions des stages, donc j’ai rencontré d’autres personnes et puis je me suis dirigé vers René Trognon parce que c’était le club qui était juste à côté, et parce qu’il y avait du monde dans son cours.


Finalement, il a été mon professeur pendant des années. C’est un très bon pédagogue, très bon formateur. Pour devenir professeur de karaté et préparer le brevet d’Etat, je devais aller à une école des cadres. Il n’y avait pas assez de personnes, donc cela a été annulé, mais j’étais inscrit quand même pour aller passer l’examen. L’école des cadres d’aïkido se mettait en place, dirigée par René Trognon et j’y suis allé. Grâce à ce que j’y ai appris, la pédagogie, les sciences humaines, toute cette alchimie de l’enseignement, je me suis présenté à l’examen du brevet d’Etat de karaté et cela s’est bien passé. C’est étonnant de pratiquer dans un domaine et finalement d’aller puiser dans un autre, mais il y a des choses communes. Fort de cet exemple-là, j’ai poursuivi ma carrière de cette façon, en partant du principe que chaque discipline a ses spécificités et m’apporte des principes communs, dans l’enseignement, la pratique ou la culture.
Je suis allé chez René Trognon jusqu’en 1986/88 et en 1982 j’ai ouvert à Dombasle mon club de karaté.
Il y avait aussi une petite section d’aïkido, j’y participais mais elle n’a pas bien vécu et elle s’est dissoute avec son professeur de l’époque. Je l’ai reprise dans les années 90 et je l’ai intégré au club de karaté comme une section.
Plus tard j’ai rencontré Malcom Tiki Shewan, grâce aux stages organisés par René Trognon. Il avait 30 ans, j’en avais 26, le premier contact a été intéressant ; lui était surtout un sabreur, du moins c’est comme cela qu’il était surtout présenté, donc je me suis intéressé au sabre japonais. Et l’aïkido qu’il présentait était à l’image de ce que mon professeur présentait en karaté. Je me suis donc retrouvé en territoire connu : rigueur, précision, sensation irimi. Avec Tiki Shewan, j’étais comme avec mon professeur, sauf que c’était dans le sabre et dans l’aïkido.

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