Depuis quand viens-tu à Pilsen ?
Cela doit faire 25 ans maintenant. Je viens depuis 1991 en République Tchèque, mais au début pas à Pilsen mais à Prague ou Brno. D’aller à Prague devint rapidement une habitude. Et très rapidement Pilsen se rajouta à mon agenda parce qu’il y a un grand dojo, de la bonne bière et une équipe organisatrice du tonnerre. La plupart du temps, il y a eu l’évènement annuel d’un stage d’une semaine en été. Je trouvais ces périodes de pratique en concentré pleines de sens car l’aïkido commençait à peine à émerger en République Tchèque. À l’époque il y a eu un problème de monnaie dans le sens où la monnaie tchèque ne valait pratiquement rien en comparaison à d’autres. Mais c’était important que les gens ici aient la possibilité de pratiquer sur une période longue avec des anciens de l’aïkido ; alors je venais bénévolement pour que les personnes puissent pratiquer. Plus concrètement, mon dojo a pris en charge les frais des stages, ce qui fut le bienvenu. J’apprécie ces longs stages car on entre dans un certain rythme de travail : pratiquer, manger, pratiquer, manger, dormir, pratiquer. J’aime ce cycle fermé.
Quand as-tu entendu parler la première fois d’aïkido ?
Je m’en rappelle très bien. J’en ai entendu parler par un ami. Nous vivions au même endroit. J’avais 17 ans et lui 18 ou 19 ans et par là plus brave que moi. Un jour j’appris qu’il pratiquait depuis quelques temps déjà cet obscur art martial japonais. Et la première question qui me vint fut : pourquoi ne se vante-t-il pas de ça ? Pourquoi ne disait-il pas en permanence : « Je suis un super maître d’aïkido ! » J’ai dû lui tirer les vers du nez. J’en fus très impressionné. Nous étions jeunes, pourquoi ne voulait-il pas se vanter de sa pratique de l’aïkido ? Je le sommais de me montrer quelque chose et il fit une technique : Ai-hanmikatate-dori Nikyo. Je tombai au sol, chez moi dans ma cuisine. J’essayai de passer au travers du sol afin de descendre plus bas. Cela me faisait atrocement mal mais je pensais en même temps : « Waow! Magie ! » Je fus convaincu. Je savais que je devais apprendre l’aïkido. J’avais de la chance d’avoir un dojo dans ma ville ; un des rares dojos qui existaient à l’époque en Suède. Mais en tant que débutant, on ne pouvait y entrer qu’à une seule période de l’année. C’était en 1971. Je devais attendre jusqu’en septembre 1972. Mais je regardais tous les cours, et aussi dans d’autres dojos de Stockholm. Ma présence donna naissance à une blague à l’intérieur des dojos, j’étais le membre passif le plus actif de tous les dojos (rires). Je débutais ainsi. Lorsqu’il me fit le Nikyo, je pris soudainement conscience que cela pouvait être mon avenir. Aujourd’hui, j’ai passé toute ma vie, du moins une grande partie, avec l’aïkido. Je l’ai senti au moment du Nikyo. Cet épisode signifie beaucoup pour moi. Je devins fanatique.
Qui a été ton premier enseignant ?
Mon premier enseignant était Allan Wahlberg dans le dojo de Järfälla. Il avait le premier dan, ce qui était impressionnant à l’époque. Les entrainements étaient très bien et intenses. Il y avait de très bons élèves dans ce dojo. Ce fut un début fanatique pour moi. J’aimais les cours chez Ichimura, qui m’accepta pendant six mois, c’était en 1973. Il m’avait bien sûr déjà vu lorsque je regardais les cours. Je me sentais de suite comme à la maison. Je l’ai suivi. Il enseignait dans plusieurs dojos à Stockholm, moi et d’autres élèves le suivions toujours. Dans mon dojo, il était là tous les vendredis soir.
Tu avais dit au début que tous les frais pour ta venue ici furent pris en charge par ton dojo ...
Oui pour venir en 1991 en République Tchèque. C’était comme ça pendant un ou deux ans, car ce n’était pas possible autrement. Au début, nous venions avec le train, mais ce fut vite fatiguant pour moi. Les Tchèques n’auraient jamais pu payer les frais à l’époque, mais ils me payaient des bières, car pour ça il fallait posséder de la monnaie tchèque. Pour tout le reste, ça n’aurait pas été réaliste. C’était un petit évènement qui prit vite de l’ampleur. Cette évolution fut essentiellement le fruit du travail de Daniel Vaillant, un Français qui à l’automne 1991 déménagea ici, quelques mois après ma première venue. Nous avons travaillé plusieurs années ensemble. Il venait de l’entourage de Tissier et il savait exactement comment donner un coup de boost à l’aïkido en République Tchèque. Très vite une évolution substantielle apparut, jusqu’à un certain point du moins.
Pratiques-tu une autre discipline de Budo ?
Le club de Järfälla était un club de Budo et proposait, en plus de l’aïkido, du judo et du karaté. Lorsque j’y étais adhérent, il y avait aussi du kendo et du jiu-jitsu. J’ai appris beaucoup. J’étais jeune, tout le monde s’entrainait ensemble ; dans cet environnement de budo, tout le monde apprit de tout le monde. Je suis du genre à vouloir pratiquer des budos. L’aïkido est un budo. Je n’ai rien à redire à la façon dont les budos entre eux peuvent résoudre des problématiques de budo. Cela améliore également mon aïkido. J’en suis persuadé. Depuis 1991, je suis dans un dojo à Malmö dans lequel il y a encore plus de budos, comme le Kickboxing, la boxe thai et la boxe. Ça vaut le coup d’avoir ce genre d’offres dans un dojo. On apprend beaucoup, on échange des expériences. J’aime ça. Par ailleurs, je m’entraine au Iaido. Ichimura lorsque je débutais l’aïkido avait son 6ème dan Renshi d’Iaido. Il avait un 5ème dan d’aïkido et était Renshi, ce qui n’est pas un titre que l’on vous offre (il rit). Alors nous avons eu des cours de iaido, en complément des cours d’aïkido. Pas une partie importante mais tout de même sérieuse. Je fais ça depuis un moment maintenant et j’ai trouvé cela toujours intéressant. Aux cours de Me Nishio, le iaido était aussi un atout de base …
… aussi le karaté …
Oh oui. Il avait fait du judo et du karaté. Il était une personne exceptionnelle comme on en trouve rarement. Il avait un 6ème dan de judo et un 5ème dan de karaté. À l’époque c’étaient les grades les plus élevés dans ces arts martiaux. Son savoir et son savoir-faire étaient monumentaux et étaient puisés dans plusieurs arts martiaux. Par ailleurs, son professeur de iaido était Me Nakakura, le grand et vieux maître du kendo. Il s’est entrainé avec les plus grands maitres. J’aimais beaucoup ça. Il était particulièrement compétent et pas seulement en aïkido.
Malheureusement je vois très souvent des enseignants d’aïkido qui en savent peu à propos d’autres arts de budo. Cela devient gênant lorsqu’on les voit manipuler un jo sans rien savoir du jodo. Ou ils utilisent un sabre sans clarifier les bases du kendo ou iaido. Ou ils frappent sans rien comprendre au karaté. Il manque souvent les bases. Et souvent la démonstration de leur aïkido n’atteint pas le niveau auquel on s’attendait. Me Nishio pensait que « l’aïkido est une méthode avancée, le prochain pas de l’évolution. » Il voyait cela ainsi. Je ne suis pas sûr que je puisse penser de même car j’ai déjà vu des budos exceptionnels et ne dirais donc pas que l’aïkido est supérieur aux autres disciplines de budo. Mais j’apprécie beaucoup les décisions philosophiques et stratégiques de l’aïkido. Déjà au début, je me disais « hey, mais avec ça on peut même venir à bout de superman. » Parce que l’on évite l’autre, peu importe sa force. Déjà en tant qu’ado, je comprenais que cela ne pouvait qu’être bon.
Osensei était malheureusement déjà mort quand je débutai avec l’aïkido. Mais j’étais tellement heureux d’avoir rencontré Me Nakakura et beaucoup d’autres, aussi en Suède. Quelle bénédiction ! Le Suédois dont je parlé s’appelle Jan Hermansson et s’entrainait au Hombu dojo.
Hermansson vit au Japon depuis 1965 et avait eu déjà une belle et impressionnante rencontre avec Osensei, qui fut très actif jusqu’à sa mort. C’est très bien d’avoir eu au moins une rencontre avec Osensei. Pour cela, il n’était même pas nécessaire que la rencontre soit de longue durée. J’ai parlé et me suis entrainé avec de nombreuses personnes qui ont eu cette expérience si précieuse. Et quand je rassemble tous leurs ressentis, la vision d’ensemble est très intéressante.
J’adore le titre de „Osensei“ pour un grand maitre. Tous ses élèves dont certains vivent encore sont exceptionnels mais aussi très différents. Il est simple pour un enseignant de produire des copies de lui-même mais un grand enseignant produits des copies originales. Tellement d’originaux différents.
Tu as commencé à 17 ans, non ? Crois-tu si tu étais allé en 1965 à 18 ans au Japon pour voir Osensei, que tu aurais pu apprendre beaucoup de lui ?
Bien sûr que oui. Je n’aurais pas compris grand-chose mais la graine aurait été semée. Personne avec qui je me suis entretenu n’avait compris grand-chose. Mais il laissait une trace. On se laissait inexorablement prendre par sa présence.
Tamura disait parfois qu’il ne comprenait que beaucoup plus tard ce que Osensei avait dit.
J’en suis sûr. De rencontrer Osensei n’était jamais inutile. Je connais un autre exemple d’un enseignant de ce calibre. Me Nakazono était en France puis alla aux USA. Ichimura et moi n’étions pas toujours d’accord. Lors de ma troisième année chez lui je devins indocile et nous nous disputions.
Vous pouvez lire l'interview complète dans l'édition 61 et 62Fr …