Je suis souvent étonné par une interrogation qui revient souvent dans les interviews, les forums et autres lieux d’expression à propos de l’aikido. L’aikido est-il efficace ? Divers avis s’y expriment et la plupart abordent la question sous la forme : « Dans la réalité de la rue … l’aikido face au tae kwando ou à la boxe thai, anglaise etc. »
A moins de considérer cette société comme un champ de bataille où l’ennemi guette, prêt à fondre sur vous, à moins d’être habité par une paranoïa rampante, la question me paraît n’avoir guère de sens dans ce champ de réflexion. Il est d’ailleurs souvent avancé l’idée qu’une arme à feu règle le problème de l’efficacité, ce qui est discutable : dispose-t-on d’une telle arme au moment crucial ? Est-on prêt à en porter une en tous temps et toutes circonstances et à s’en servir, avec les conséquences qui en découleraient immanquablement ? Je pense que la vraie réponse à cette interrogation – qui traduit, selon les cas, une pulsion morbide, un sentiment d’impuissance, un désir de toute-puissance, une insécurité intérieure avec une problématique identitaire dont l’origine peut être dans des angoisses de morcellement qui peuvent, quant à elles, renvoyer à un déni de conception ou une conception carencée – je pense disais-je que la vraie réponse se trouve dans l’oubli de la question après la disparition de l’angoisse grâce à la pratique d’une voie. Je n’évoque pas ici les cas pathologiques à proprement parler.
Je pense donc que la question de l’efficacité doit être élargie à tous les budo, l’efficacité de ceux que l’on prétend efficaces n’étant pas plus certaine si l’on pose le problème dans le champ d’une agression physique par n’importe quel moyen y compris l’arme à feu. Enfin, le cadre de réflexion doit, me semble-t-il, inclure une idée assez simple : Combien meurt-il de personnes chaque année et combien des conséquences d’une agression par un autre humain ? Combien meurent d’autre chose et de quoi ? Qu’est-ce qui peut nous mettre en situation d’être physiquement attaqué par un autre humain ?
Il meurt beaucoup plus de personnes de maladie que des conséquences d’une agression. Il en meurt beaucoup plus de suicide que des conséquences d’une agression. Il en meurt infiniment plus à cause des guerres, des pouvoirs abusifs, des conséquences de partis pris idéologiques entraînant des politiques sociales aberrantes que des conséquences d’une agression. Dans tous ces cas, ce qui est la substance létale, c’est la violence, et bien plus que la violence contre autrui, la violence contre soi.
Quand j’affirme cela, je ne me limite pas aux cas de suicide. Je persiste et signe dans une voie qui est la mienne et qui motive tout mon travail : « Ce qui, de l’histoire d’un individu, ne peut être pensé par lui est refoulé vers le corps et mimé par celui-ci. L’analyse des postures démontrent qu’un pourcentage considérable de tensions physiques n’a aucune utilité dans le maintien de l’équilibre statique ou dynamique du corps. Elles expriment des tensions psychiques inconscientes. Chacun définit inconsciemment un niveau de tonus musculaire en dessous duquel il ne se perçoit pas, c’est à dire que la fonction identificatoire du corps ne serait pas assurée dans un tel cas. Chacun a besoin de se représenter psychiquement à soi-même, à défaut de quoi, la conscience n’est pas spatiotemporalisée et donc incapable de produire la moindre pensée. Le sentiment d’exister est un préalable à la pensée et à l’action, qui impliquent l’une comme l’autre la perception des contours de soi. Ceci est de la plus grande importance pour comprendre le mécanisme qui conduit à l’agression agie ou subie. L’impensé est mimé. Je renvoie le lecteur curieux ou dubitatif à l’anthropologie du geste de Jousse et à l’inscription corporelle de l’esprit de Varela, Thompson et Rosch. Ce qui ne peut être mimé est somatisé, soit sous la forme d’une pathologie, soit sous celle d’un accident, c’est-à-dire une agression contre soi-même. L’agresseur hypothétique, dans le contexte qui sous-tend la justification de l’apprentissage d’un