L’aikido et-il une goutte d’amour dans un océan de violence ?


André Cognard – 2011 à Bourg Argental

La violence n’est pas l’apanage du terrorisme islamique. L’assassin de Charleston, Dylan Roof, n’était ni musulman ni arabe. C’était un bon Américain bien blanc. Ce n’est pas le premier attentat de ce type aux USA. Les motivations des tireurs fous sont issues la plupart du temps de ce que l’on pourrait identifier à première vue comme un délire paranoïaque.

Si l’on observe la violence à l’échelle de la planète, le bilan est consternant. La guerre est devenue une activité quasi normale. Elle justifie une oppression toujours plus forte et nos pays dits occidentaux n’échappent pas à la liste infinie des destructeurs de liberté.
La violence, ce n’est pas seulement les bombes ou les tirs d’armes automatiques. C’est le quotidien de tous. L’oppression des uns par les autres s’exprime sous toutes les formes et dans tous les sens, au niveau des individus, des groupes, des peuples. Je ne vais pas énumérer ici tous les aspects de la violence, chacun étant à même de réfléchir au sujet, et surtout, de se poser la question de la violence exercée contre lui-même.
Toutefois, quelques exemples peuvent être utiles pour comprendre dans quel cadre se situe mon propos. La violence la moins discutée dans notre société est celle faite aux enfants, alors qu’elle parait normale dans d’autres régions du monde. Il est vital pour certaines économies que les enfants travaillent et cela n’est pas ressenti par la population des pays concernés comme une violence qui leur est faite. Cette nécessité économique sert de bouclier à de vrais exploiteurs d’enfants.
La violence de nos institutions est évidente mais comparée à celles d’autres pays, elle pourrait apparaitre comme un moindre mal. Cependant, pour certains individus, elle peut parfois sembler insoutenable dans ce temps de crise économique que nous traversons.
La manière souvent agressive dont les contrôles de sécurité sont faits dans la plupart de nos aéroports relève de la violence. Pour le voyageur occasionnel, c’est probablement supportable, pour le frequent flyer subissant cela huit fois par semaine, c’est insupportable. La croyance stupide de nos gouvernants dans l’efficacité d’un dispositif agressif est l’avatar d’une histoire dans laquelle l’autorité est confondue avec l’arrogance, la suffisance et la hauteur. Cette pseudo autorité est avant tout un aveu d’impuissance.
Elle s’oppose à la gentillesse, la courtoisie, l’amabilité des contrôles à Singapour ou au Japon, lesquels ne sont surement pas moins efficaces. Le voyageur qui ne fréquente pas ces contrées ne ressentira probablement pas l’attitude agressive des préposés à la dite sécurité de nos aéroports, mais le voyageur au long cours les trouvera insupportables.

Ceci dit, toute l’Asie n’est pas logée à la même enseigne et les formules de politesse japonaises, les sourires radieux de la police de Singapour sont remplacées par des vociférations à Shanghai ou Pekin, et des contacts physiques désagréables à Séoul.
Il semblerait qu’il y ait là une question de culture, mais pas n’importe quelle culture, une culture de l’identité individuelle.
Et cela me semble justifié par le fait que la violence est ressentie, vécue au niveau individuel. Il n’est pas possible de quantifier la violence ni de la qualifier car elle est produite par un abus, le franchissement d’une frontière individuelle et la seule mesure possible est celle du trouble, de la souffrance que cela engendre pour le sujet envahi.

J’ai souvent écrit que le choix d’arrêter la violence ne peut être fait que par l’individu. Il y a violence quand les limites de l’identité d’un sujet sont franchies par un autre, quand elles ne sont pas respectées, soit qu’elles soient transgressées, soit que l’individu lui-même soit dénié en tant que tel, le comble du déni étant le meurtre.
Les épisodes guerriers qui jonchent l’histoire de toutes les cultures sont éloquents. On se bat sur des frontières pour des territoires. On cherche à placer ses limites dans l’autre en l’obligeant à reculer les siennes. On défend ses frontières identitaires contre tout envahisseur, réel, potentiel ou imaginaire. Il s’agit bien de définir des identités, quel que soit le moteur de l’action.

L’Occidental moyen n’est pas un être dépourvu de sensibilité, d’empathie et de générosité. Son mode de vie en général nécessite des voitures, des maisons, etc., coûteuses en énergie. La détresse des habitants du delta du Niger lui est relativement étrangère, même si ses besoins en énergie en sont une des causes. Lui a besoin d’appartenir à sa nation, qui lui fournit un lien important dans la structuration de son identité. C’est son mode de vie qui atteste de son appartenance et il n’est pas enclin à remettre en question les mensonges des pétroliers ou les mensonges d’Etat. Il accepte donc d’ignorer un peu pour ne pas souffrir du mal qui est fait et dans lequel il est impliqué malgré lui. Le défaut d’empathie que l’on pourrait à juste titre lui reprocher est une défense contre la souffrance qu’il produit « à son corps défendant ».
Il apparaît donc dans ce cas que la violence est dans les faits perpétrés au Nigeria, dans l’attitude inadmissible des autorités de ce pays, dans le mensonge et dans la complicité des différentes factions mais que tout cela s’appuie sur l’ignorance générale de la réalité. Même les plus cyniques des acteurs de ce désastre ignorent une grande partie de la réalité. C’est précisément ce qui leur permet de continuer d’exercer leur violence et d’ignorer ou de dénier la souffrance qu’elle engendre. Le défaut de connaissance d’autrui et de l’altérité en général est caractéristique d’une conscience qui ne se connaît pas elle-même. Il ne peut y avoir d’empathie que si une part connue de soi s’investit dans l’autre sans s’y perdre. C’est le défaut de perception des limites de soi qui engendre la violence. Celle-ci est la conséquence d’une invasion d’une entité ou d’un être par une autre entité ou un autre être. Ce n’est pas l’intention violente qui est violente. C’est l’invasion, et celle-ci est toujours la conséquence d’une ignorance multiple.
Tout d’abord, ignorance de ses propres limites par chacune des deux parties. Ensuite, ignorance des limites de l’autre par les deux parties, mais aussi, ignorance de ce que le noyau identitaire ne peut fuir vers un horizon illimité sans se détruire, sans organiser sa propre Berezina, sa dispersion. Ignorance de ce que la structure identitaire ne peut absorber d’autres identités sans aboutir au conflit intérieur et à sa destruction. Intégrer trop d’autre conduit au morcellement de l’identité, c’est là la raison de l’échec final de tous les conquérants.
Mais encore, ignorance des mécanismes de l’agression offensive ou défensive inhérente à la nature elle-même. La légitimation des agressions se fonde toujours sur l’idée d’un droit à se défendre par la violence. Mais si l’on creuse cette volonté de justification, on observe qu’elle met en évidence le doute de l’agresseur sur son action agressive (quel besoin de justifier ce qui va de soi ?) et ce doute trouve son origine dans le fait que ledit agresseur subit ses forces réactives naturelles et qu’il est donc en proie à la division. L’expression « n’être plus maître de soi » pour parler de la colère en atteste. L’acte de légitimation de sa propre action agressive conduit au renforcement de l’agression pour maintenir la cohésion interne et nier la perte de contrôle. Le fanatisme est une réponse à la violence intérieure, celle que crée le doute quant à son unité. Je ne parle pas là uniquement dans le strict cadre individuel mais dans un cadre général impliquant les conflits sous toutes les formes.
On voit là que la violence ne peut que s’amplifier, se développer, s’échanger. Elle apparait comme un moyen d’action universel et semble avoir pénétré notre patrimoine génétique depuis l’aube des temps. Elle semble être vécue intérieurement comme un mode d’action bénéfique pour celui qui l’exerce victorieusement. Les richesses, la gloire, la puissance appartiennent au vainqueur dont l’identité à court et moyen terme se trouve renforcée par la victoire et, donc, la souffrance imposée à l’autre. Mais cela implique nécessairement le refoulement ou le déni de ces souffrances imposées au vaincu, et donc un défaut d’empathie, et donc de connaissance de soi. Elle impose aussi à tout agresseur de se positionner préalablement comme vainqueur et d’ign…


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