Et si on s’était trompé ?


Daniel à barcelona décembre 2015

Et si on s’était trompé ! Si l’aïkidō n’était pas un art martial comme beaucoup d’enseignants veulent le croire ou le faire croire ! Certes, cette assertion risque d’en surprendre plus d’un et d’en irriter beaucoup d’autres. Pourtant, il n’est pas un article, une interview, une démonstration, un post de « sommités » du petit monde de l’aïkidō qui n’en exalte la valeur martiale. Ces professions de foi n’ont cependant ni permis d’enrayer l’érosion progressive des effectifs, qui est aujourd’hui de notoriété publique, ni de combler le schisme générationnel que connaît actuellement cette discipline. L’aïkidō ne passionne plus la jeunesse et, par voie de conséquence, sa population vieillit (il suffit de fréquenter un peu les stages pour s’en rendre compte : on voit toujours les mêmes têtes !). Les années d’or de la discipline ne sont désormais plus que le souvenir d’un temps où l’aïkidō fleurissait proportionnellement à l’enthousiasme de ses pratiquants et de ses cadres sous la conduite, plus ou moins heureuse, des derniers élèves « directs » de Ōsensei. Mais que s’est-il donc passé ? Qu’est-ce qui a changé en 40 ans pour en arriver là ? Est-il encore possible d’inverser la tendance et de retrouver la « croissance » ? Les leaders actuels de l’aïkidō mondial, qu’ils soient dirigeants ou sensei, sont-ils en mesure de remédier à cette situation ? Cet article se propose d’apporter des réponses, certes non exhaustives, à ces questions qui nous renvoient à celle, fondamentale, de savoir pourquoi nous pratiquons un dō : quel sens a la pratique ? Quel sens je donne à ma pratique ?

Dans les années 70, sans qu’il soit besoin de remonter plus avant dans les annales, avant même l’UNA, du temps de l’ACFA et de l’ACEA, les pratiquants pratiquaient. Excusez cette redondance qui veut néanmoins sous-entendre que, peut-être, les pratiquants d’aujourd’hui font plus (ou moins selon les points de vue !) que pratiquer. Certes, à cette époque lointaine et révolue, l’organisation de l’aïkidō se limitait à son administration, comme il se doit, sans autre préoccupation que celle de favoriser la pratique et encourager les pratiquants dans ce sens. Mais, en 1976, cette totale et insouciante indépendance a été sacrifiée au bénéfice, d’une part d’un Brevet d’Etat qui légalisait la profession d’enseignant d’aïkidō et, d’autre part, de la reconnaissance d’une Fédération unique d’aïkidō qui recevait délégation de pouvoir de l’Etat pour organiser les passages de grades et les jurys d’examen du brevet d’état (partie spécifique). Cette année-là, l’association culturelle qui gérait le monde de l’aïkidō a été substituée par une fédération sportive. Et voilà ! Le coupable vient à peine d’être désigné et il a pour nom : « sport », et tout ce qui gravite autour. J’étais présent au stage de St Maximin l’année précédente au cours de laquelle les techniciens réunis ont pris cette décision qui engageait leur futur. J’ai même rédigé un rapport à ce moment-là mais j’ai peur qu’il soit parti avec Pierre Chassang, l’un des seuls à avoir milité pour le maintien du caractère culturel plutôt que sportif de l’aïkidō. Pourtant, ce sont les mêmes qui aujourd’hui exaltent son côté martial oubliant qu’ils l’ont eux-mêmes placé dans un contexte sportif pour lequel il n’a pas été conçu, en l’absence de compétition ou de test. Cette décision a fait entrer de plain-pied l’aïkidō dans le monde de la compétition, au sens général, alors même que cette discipline ne peut en aucun cas être assimilée à un sport de combat, elle en serait même l’antithèse. Le terme compétition provient du latin competitor, de competere : rechercher ensemble, briguer, aboutir au même point, se rencontrer – celui, celle qui poursuit le même objet qu’un autre. Si l’étymologie semble indiquer qu’il s’agit d’une recherche menée conjointement (introduite par le préfixe com), malheureusement l’interprétation actuelle, et/ou l’inconscient collectif, a réduit ce terme à la victoire des uns sur les autres : que le meilleur gagne ! Dans le monde moderne, l’esprit de compétition est une valeur sûre qui est reconnue aux battants, ce type de personnes plus préoccupées par la fin que par les moyens. Or la finalité de l’aïkidō n’est pas de gagner mais plutôt de se rencontrer et de résoudre le conflit en poursuivant le même « objet » que l’autre sans qu’il soit nécessaire de le vaincre. C’est d’ailleurs l’une des différences essentielles entre le budō et le sport, lequel a été conçu pour offrir à l’être humain une activité physique salutaire dont la compétition et la récompense qui sacre le vainqueur (que ce soit un titre, une médaille d’or ou un chèque) sont la carotte qui servira à stimuler ses motivations. Le budō, qui constitue la version moderne du bujutsu, a substitué l’activité physique à celles militaires en orientant la pratique, l’entraînement, vers une démarche plus spirituelle où la seule victoire est la victoire sur soi-même. Le but de l’aïkidō ne serait donc pas de vaincre un adversaire mais de conduire son énergie pour qu’elle ne provoque aucun dommage et que personne ne se fasse mal. Aussi, le fait d’avoir placé l’aïkidō dans une dynamique sportive a généré des conséquences qu’il est aujourd’hui possible de mesurer et d’analyser. Mais l’une des plus dramatiques d’entre elles est qu’elle a changé notre façon de penser. Comme je l’ai écrit dans un précédent article, il a créé un esprit de compétition entre pratiquants, palpable sur n’importe quel tatami. En effet, l’absence de test dans la didactique de l’aïkidō nous fait en permanence douter de nos réelles capacités martiales et ce doute se manifeste sur le tatami selon la personnalité propre à chacun, pour le meilleur et pour le pire !

En 1976, le monde du budō se limitait à 3 disciplines majeures : jūdō, karaté et aïkidō. Que représentent-elles aujourd’hui dans ce monde qui porte désormais le terme générique « d’Arts Martiaux » mais qu’on devrait plutôt désigner par « sports de combat » ? Quand j’ai commencé l’aïkidō   en 73, deux livres m’ont accompagné : celui de Viladoratta : L’Esprit de l’aïkidō   et celui de Westbrook and Ratti : Aikido  and the Dynamic Sphere. Circulaient également ceux de Ueshiba Kisshomaru Doshu et les livres de Saitō Sensei commençaient à être publiés. Avec un peu de chance, il était possible de voir quelques rares films à l’occasion de stages - je me souviens en particulier de ceux d’Alain Guerrier à La Colle s/Loup – et c’était à peu près tout le matériel audiovisuel dont disposait le pratiquant pour satisfaire sa curiosité et son besoin d’informations, sans parler bien entendu du traditionnel pot d’après cours où on échangeait tout et son contraire. On compensait par une imagination fertile et débordante, on se berçait des anecdotes sur Ōsensei et on rassurait notre incapacité à évaluer nos véritables capacités martiales en invoquant son invulnérabilité. On se confrontait principalement entre nous et on s’évaluait à notre capacité de tordre les poignets et/ou de résister aux torsions. Mais l’innocence qui nous habitait, alimentée par le gouffre technique qui séparait le maître japonais du meilleur pratiquant européen, nous transmettait le même enthousiasme que celui des pèlerins mal préparés lors de la 1ère croisade. Mais qu’en est-il aujourd’hui de cette innoc … lisez plus dans l'AJ n° 71FR

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