Le Reishiki

Le cheminement sur la Voie ne se limite pas au seul apprentissage de la technique.


Daniel Leclerc à La colle s/ Loup 2006

Dans un précédent article sur le rôle de l’Uke, j’avais introduit l’idée que l’apprentissage de la technique ne se limitait pas à la seule étude du comment l’exécuter (shitachi, tori) mais également, et surtout, comment la recevoir (uchidachi, aite). En ko Bu-Do, cet apprentissage commence toujours par shitachi pour progressivement évoluer vers uchidachi. En shin Bu-Do (Aikido, Judo, Kendo,…), il est mené en parallèle ou, tout du moins, il devrait l’être.
Je voudrais, cette fois, souligner le fait que le cheminement sur la Voie ne se limite pas au seul apprentissage de la technique, même s’il s’agit là d’une évidence. La compréhension des principes qui la sous-tendent n’est pas moins nécessaire et indispensable pour aller de l’avant et progresser sur la Voie. Parce que ce cheminement, si tant est que l’on soit un peu attentif, nous porte, nous invite à considérer, voire à reconsidérer, certains éléments du paysage martial, ou de la didactique martiale que nous avons cessé de regarder, que nous avons cessé d’étudier, par ignorance ou, plus souvent, par suffisance. L’un de ces éléments qui constituent, pourrait-on dire, la toile de fond, le décor du monde martial, est le Rei-Shiki, l’étiquette.
En préliminaire, cependant, il ne paraît pas inutile de rappeler la différence essentielle et, pourrait-on dire, existentielle, entre le Bu-Jutsu, qui constitue l’Art Martial à proprement parler, et le Bu-Do dont la traduction la plus fidèle serait Discipline ou Voie Martiale, à savoir : leurs priorités. En Bu-Jutsu classique, la principale priorité est l’efficacité combative puis, en second lieu, vient la discipline et enfin la moralité. En Bu-Do classique, la moralité est la première priorité, puis la discipline et enfin la forme esthétique. Même si, à bien des égards, le Bu-Jutsu peut être considéré aujourd’hui comme un Bu-Do - dans le sens où sa réalité martiale n’est plus adaptée aux conditions de la guerre moderne - , chacun d’eux dispose d’un reishiki particulier du fait que leurs priorités et leur finalité diffèrent : pour le premier, le comportement et les gestes sont conditionnés par la nécessité de pouvoir répondre instantanément et efficacement à la moindre menace, au moindre signe d’agression, alors que pour le second, du fait de ses implications non-guerrières, le respect de l’étiquette est dicté par des considérations d’ordre essentiellement moral et spirituel.

Bien souvent déconsidéré par bon nombre de pratiquants, par ignorance ou par indifférence, cet aspect de la pratique est de première importance, alors même qu’il n’a aucune application martiale. Il n’est pas, cependant, l’apanage du Budo japonais. En effet, pourrait-on imaginer un grand chef, sous prétexte que sa cuisine est bonne et renommée, servir ses plats dans la casserole où ils auraient mijoté ? Certes, ils ne seraient pas moins succulents. Mais justement pour cela doivent-ils être accommodés de la meilleure façon, pour les mettre encore plus en valeur. Leur présentation concourra donc à créer l’ambiance idéale à leur pleine et totale appréciation. Cette recherche, au même titre que l’apprentissage de la technique, fait partie intégrante de la Voie, du DO, en ce sens qu’elle nous aide à éveiller notre conscience à nos moindres faits et gestes et, finalement, à trouver notre place.
De surcroît, l’observance du Reishiki ne requiert aucune aptitude physique ou intellectuelle particulière de la part de celui qui l’exécute, seulement l’ouverture et la disponibilité de son esprit.

    L’Etiquette - Définitions

L’étiquette est l’ensemble des formes cérémonieuses qui marquent les rapports entre les particuliers et qui constituent les règles de comportement et de bienséance à observer dans un cadre donné comme, par exemple : la cour d’un monarque, un lieu de culte, une célébration, qu’elle soit profane ou religieuse, sociale ou privée.
Il est important de préciser que l’étiquette est en rapport aussi bien avec la structure du groupe ou de la société qui l’a instituée qu’avec son histoire et qu’elle implique nécessairement une expérience existentielle. Mais, comme chacun aura pu le constater, plusieurs scénarios peuvent coexister dans une même culture.

Dans la culture japonaise, il existe plusieurs termes concernant l’étiquette, savoir : REISHIKI, REIHO, REIGI, REIGI SAHO.

Tous ces termes sont composés de l’idéogramme REI qui signifie littéralement : salut, salutations.

SHIKI signifie « cérémonie ». REISHIKI pourrait donc se traduire par « le cérémonial ».

HO signifie « loi ». REIHO serait donc « l’étiquette » proprement dite puisque s’agissant des lois régissant le « salut ».

REIGI est le terme utilisé par N. Tamura dans son livre : « AIKIDO – étiquette et transmission » :
« REI se traduit simplement par salut. Mais il englobe également les notions de politesse, courtoisie, hiérarchie, respect, gratitude.
REIGI (l’étiquette) est l’expression du respect mutuel à l’intérieur de la société. On peut aussi le comprendre comme le moyen de connaître sa position vis à vis de l’autre. On peut donc dire que c’est le moyen de prendre conscience de sa position.
Le caractère REI est composé de 2 éléments : SHIMESU et YUTAKA.
shimesu :    l’esprit divin descendu habiter l’autel
yutaka :    la montagne et le vase     sacrificiel de bois qui contient la nourriture : deux épis de riz, le récipi     ent débordant de nourriture, l’abondance.
Ces deux éléments réunis donnent l’idée d’un autel abondamment pourvu d’offrandes de nourriture, devant lequel on attend la descente du divin… la célébration.
GI : l’homme et l’ordre. Désigne ce qui est ordre et qui constitue un modèle.

REIGI est donc à l’origine ce qui gouverne la célébration du sacré. Il est probable que ce sens se soit ensuite étendu aux relations humaines lorsqu’il a fallu instaurer le cérémonial qui régissait les relations hiérarchiques entre les hommes. »

REIGI SAHO pourrait être traduit par : « les règles de l’étiquette », ce qui correspond au sens donné par les dictionnaires occidentaux.

De façon plus pragmatique, l’on peut dire que l’étiquette constitue un code dont la signification ne peut être perçue que par les initiés, c’est-à-dire par ceux qui ont acquis les premiers éléments dans la connaissance ou/et la pratique d’une science, d’un art ou d’une pratique donnée. Ce code est la marque d’un groupe particulier ou d’une relation particulière. L’étiquette introduit le novice à la fois dans la communauté des pratiquants (shugyo-sha) et dans le monde des valeurs spirituelles. Elle lui apprend les comportements et l’histoire du groupe, mais aussi ses mythes et ses traditions.
L’étiquette raconte pourquoi les choses sont

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