Le Reishiki II

L’Etiquette – Pourquoi ? Milan, février 2009


Daniel Leclerc à La colle s/ Loup 2006

”Le caractère des hommes ne se montre jamais mieux que dans les choses qui paraissent indifférentes.” (Proverbe)


Il serait prétentieux de vouloir dresser une liste exhaustive de l’ensemble des règles de l’étiquette. De surcroît, certaines de ces règles peuvent différer d’un pays à l’autre, ou plus précisément d’une culture à l’autre. Ainsi, au Japon, il est inconcevable de plier son hakama sur le tatami alors que cette façon de procéder semble avoir été adoptée dans tous les autres pays du globe. L’étiquette, cependant, exige que le pratiquant ne plie pas son hakama dos au kamiza. Cet exemple illustre à quel point les règles de l’étiquette ne sont pas gravées dans la pierre et doivent nécessairement s’adapter, notamment lorsqu’elles sont issues d’une culture différente de la sienne. Si en Aikido les règles de l’étiquette semblent relativement uniformes, il n’en est pas de même de disciplines martiales telles que, par exemple, l’Iai où l’étiquette peut varier d’une école à l’autre au point de paraître contradictoire, notamment la position du sabre lors du salut au kamisa ou au sabre lui-même.
Dans un domaine plus religieux, le signe de croix n’est pas exécuté de la même façon par les Catholiques, les Orthodoxes, les Protestants, les Nestoriens, les Coptes, les Jacobistes et autres. Mais tous, sans exception, font un signe qui symbolise la croix et la passion du Christ.

Ces différences, en apparence discordantes, démontrent à la fois la diversité et la cohérence de la nature humaine. Elles justifient la multiplicité des formes et confirment l’universalité des principes.

A ce stade, il est intéressant de relever l’étrange homonymie entre les mots éthique et étiquette (à tel point qu’il ne serait pas choquant d’écrire « l’éthiquette » de cette façon). En effet, ne concerne-t-elle pas les règles de conduite, la morale ?

Il n’est pas dans notre intention d’inventorier et répertorier les multiples règles de l’étiquette martiale à travers les âges et les cultures. L’idée n’est pas inintéressante mais déborde largement le cadre de cet exposé. Elle permettrait en revanche de mesurer à quel point nos comportements sont conditionnés par nos rapports avec l’autre et les divers modes de prévenir les conflits. Mesurer, par exemple, que la prohibition du port d’armes a permis de se saluer en se serrant la main, ce qui était parfaitement inconcevable avant. Comprendre que le geste de trinquer était conditionné par le fait que le mélange des liquides au moment où les verres s’entrechoquaient permettait de s’assurer qu’aucun poison n’avait été versé dans l’un d’entre eux. Ainsi, bon nombre des gestes encore utilisés de nos jours dans nos comportements relationnels étaient à l’origine conditionnés par la nécessité de rester vigilant en toutes circonstances, c’est-à-dire en état d’éveil permanent. A fortiori, cette vigilance s’adressait-elle en premier lieu à ceux qui avaient choisi le métier des armes et pour lesquels la moindre faute d’inattention pouvait être fatale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui lorsque l’on étudie le Bu-Do et les nostalgiques pourront toujours se tourner vers la Légion Etrangère !

Beaucoup de pratiquants confondent encore l’étude de la technique et son éventuelle application sur un champ de bataille urbain ou, autrement dit, l’étude du Bu-Do et la bagarre de rue. A ce point, je me permets de citer Nishioka Sensei (Menkyo Kaiden de la Shinto Muso Ryû Jo) dans un article intitulé : « Quelques pensées sur les Arts Martiaux japonais » :

On n’étudie pas le Budo japonais pour apprendre une méthode efficace de blesser ou
tuer les autres. Le Budo conduit le pratiquant à un plus haut niveau de moralité pour que, dans une situation de vie ou de mort, non seulement il puisse préserver sa propre vie, mais également celle de son ennemi. On atteint ainsi un idéal de vie : la préservation du plus haut niveau d’humanité.

Tout dans l’univers a ses règles, sa logique, sa raison d’être, y compris l’anarchie. Que seraient les religions sans leurs rites, les sociétés sans leurs us et coutumes, l’univers sans ses rythmes ?
Le Reishiki, dans la didactique empirique du Budo japonais, enseigne à connaître sa place, aussi bien dans que hors du dojo, parce que chaque groupe d’amis, chaque société, chaque culture possède ses règles propres, écrites et non écrites, qui conditionnent notre comportement. Ce savoir permet au Budoka – au guerrier ou à l’homme rusé, – de percevoir quasi intuitivement les règles et les usages de l’endroit où il se trouve pour ainsi s’y mouvoir et s’y relationer harmonieusement.
Mais l’étiquette martiale, le reishiki, enseigne avant tout au pratiquant un mode de comportement qui devrait le rendre plus conscient de ses paroles, de ses actions et… de ses pensées !
Parce qu’au bout du compte, on ne pratique pas le Budo pour devenir plus fort, mais meilleur… n

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