L’aïkido : efficace ou efficient ?


Daniel Leclerc – kesa-giri

On a beaucoup écrit et digressé sur la martialité de l’aïkido alors qu’Osenseï l’a défini lui-même “l’Art de la Paix” ! On en parlerait certainement moins si l’on évitait de traduire le terme Do par « Art » alors qu’il devrait l’être par « chemin, voie, parcours” dans le sens spirituel de la parole. Selon ce que je peux comprendre aujourd’hui, bien que cette compréhension n’ait pas été immédiate mais progressive, je dirais que l’aïkido est un système qui permet de résoudre les conflits sans générer ni vainqueur, ni vaincu. L’art martial, pour sa part, est conçu pour la guerre et, par extension, le combat : il est une méthode pour résoudre les conflits “quand la diplomatie a échoué” comme disait Général Clausewitz, c’est-à-dire en éliminant, en annihilant, en neutralisant leur source. Dès lors, il devient pertinent de se demander pourquoi faire de l’aïkido ce qu’il n’est pas ! Pourquoi choisir l’aïkido comme art martial alors qu’il existe de nombreux autres systèmes dont la finalité combattive est plus clairement établie (genre Daïto Ryu, pour rester dans l’ambiance)? Certes, l’aïkido est potentiellement martial mais il n’est pas destiné au combat. La preuve en est que la discipline n’enseigne pas comment attaquer mais seulement comment recevoir une attaque. Certes, on sait que ce système est issu de techniques dont l’efficacité a été éprouvée sur le champ de bataille ou en situation de devoir défendre sa vie, mais le génie de Osenseï, qui l’a pratiquement élevé au statut d’être illuminé, est précisément d’avoir conservé leur efficience en éliminant leur efficacité. Ainsi kotegaeshi, par exemple, n’est donc pas destiné à m’enseigner comment tordre le poignet de mon adversaire mais comment m’harmoniser avec lui et, par extension, avec l’autre. Mais s’il existe encore aujourd’hui autant de polémiques à propos de l’efficacité des techniques d›aïkido, c›est que, quelque part, on n’est pas sûr qu’elles le soient vraiment parce que nous ne sommes pratiquement jamais en situation de devoir les tester réellement. C’est justement cette absence de test dans la didactique de notre discipline qui nous permet de prétendre ce que l’aïkido n’est pas.

Il règne une grande confusion entre les termes:  martialité, combattivité, sincérité, agressivité, efficacité, efficience. On pourrait déjà s’arrêter sur le premier et tenter de définir ce que l’on entend par martialité ! De quoi s’agit-il exactement ? Quels pourraient être les éléments qui permettraient de distinguer une technique martiale d’une autre qui ne l’est pas? Et chacun de répondre : son efficacité ! Fort bien mais quel sens donner à ce terme ? Le Grand Robert nous dit : “qui produit l’effet qu’on en attend”. À n’en pas douter, cette définition réconciliera tout le monde. Elle permet de postuler qu’un kotegaeshi (pour rester sur cette technique) sera efficace dans la mesure où il produira l’effet qu’on en attend. Et jusqu’ici je pense que tout le monde opinera du chef.

Pourtant, les mêmes s’accordent à penser et à dire, y compris les inconditionnels de “ l’aïkido martial à tout prix “, que cette technique est difficilement applicable en “ situation réelle“. C’est certainement pour cette raison qu’on n’a encore jamais vu et, je pense, qu’on ne verra jamais un pratiquant d’aïkido dans une cage de MMA. Le judo y est allé, ainsi que le karate, le kung-fu, le taekwondo, et même le sumo. Mais le pratiquant d’aïkido pense pouvoir se placer au-dessus de cette mêlée en se convaincant que sa discipline n’a pas besoin de test pour évaluer sa réelle efficacité. Et puis, nous pouvons toujours trouver refuge et sécurité dans la pensée magique en nous convaincant que si Osenseï était encore de ce monde, il entrerait dans la cage pour les pulvériser tous et leur faire voir ! … Mais si kotegaeshi est difficilement applicable en situation réelle c’est-à-dire, comme le disait Nakazano Sensei : “essayez de faire kotegaeshi sur la trompe d’un éléphant”, comment pourrait-on prétendre qu’il est efficace et que la discipline qui l’enseigne est martiale ? De ce point de vue, l’aïkidoka peut donc être vu comme le plus grand illusionniste du Budo et c’est d’ailleurs comme ça qu’il est généralement perçu par les autres disciplines martiales. Il peut démontrer mais ne veut pas prouver (ou à ses risque et péril) et il le justifie en invoquant “AI”, l’harmonie, qui l’exonère en quelque sorte éthiquement et moralement de devoir vérifier le bien-fondé de ses convictions, prétextant que l’issue d’une confrontation ne pourrait être que fatale au/x potentiel/s adversaire/s. Pour se convaincre de l’efficacité de sa technique, le pratiquant élabore et développe des théories et des gestes martiaux qu’il a seulement expérimentés dans le strict cadre de son dojo/laboratoire sur des élèves/cobayes qui, comme ces derniers, ne comprennent pas ce qui leur arrive. Jamais, ou rarement, il ne confrontera ses théories, ses convictions, ses choix didactiques avec ses pairs – des fois qu’ils les discutent – et encore moins avec ses cousins martiaux, prétextant que les conditions nécessaires à l’expérimentation martiale ne sont plus réunies.

Pour ces raisons, je pense que les enseignants devraient arrêter de parler de l’aïkido comme d’un art martial : Osensei ne l’a pas créé comme un système de combat, même si sa pédagogie s’appuie sur le conflit et l’opposition, mais comme un système pour être en paix avec soi-même, que l’on pourrait trivialement résumer par un “être bien dans ses pompes”. C’est, de mon point de vue, la raison essentielle pour laquelle il n’a pas proposé le test dans sa méthode (shiaï, kumite, randori, etc …), non pas parce que la chose n’est pas faisable mais plutôt parce qu’elle n’est pas concevable : le pratiquant ne devrait même pas se poser la question de savoir si l’aïkido est efficace ou non puisqu’il devrait avoir transcendé le conflit. Certes, j’entends déjà répondre qu’il s’agit d’atteindre un niveau quasi de sainteté et je le confirme. À notre petit niveau cependant, il nous reste à résoudre ce koan : voulons-nous étudier le sabre pour prendre ou pour donner la vie ? (satsu jin ken, katsu jin to) Mais, comme toujours, il s’agit d’un faux problème, propre seulement à alimenter les polémiques entre adeptes, tout comme l’est celui des armes en aïkido. Comme je l’ai déjà écrit précédemment, le pratiquant doit avoir la Foi et croire vraiment que l’étude de ce système pourra le porter

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