Horst Schwickerath

Il y a quelques jours, j'ai reçu un courrier d'un ami qui me demandait : «...donne-moi une bonne raison de continuer à pratiquer l'aïkido.»

Tout d'abord je fus étonné, puis je commençais à réfléchir à sa question. Et j'ai mis sa question sur la liste de discussion d'Aïkido Journal, où malheureusement elle n'a reçu aucune réponse digne d'être mentionnée. Certes, un des participants opina que c'était «une question très intéressante», un autre poussa des cris d'orfraie devant ce manque de respect envers la vache sacrée, l'aïkido et ses règles. Un troisième a cru me reconnaître une vocation de soigneur de mal à l'âme.

Il se trouve que souvent, en privé, j'entends les plaintes de professeurs et d'instructeurs. Ils se sentent mal compris, non respectés ou exploités.

Pourquoi acceptent-ils cela ?

Mais je me retrouve seul avec la question qui m'a été posée... Ainsi vont mes pensées : je vois une «culture asiatique étrangère», qui utilise des images et des mouvements qui, pour moi, sont encore peu compréhensibles. Tout autant que la manière dont ils affectent le corps et l'esprit.

Pourquoi acceptons-nous cela ?

«Pourquoi un aïkidoka devient-il enseignant ?» On devient rapidement instructeur. Je me souviens qu'après un an de pratique j'assumais, comme remplaçant, cette fonction. Mais était-ce juste ? Était-ce responsable ?

Responsabilité ? La fierté est-elle une raison suffisante ? Est-ce que je peux, après un temps si court transmettre l'aïkido ? Or j'arrive à peine à l'exprimer verbalement. Je n'arrive pas non plus à transmettre des images. Est-ce que je perçois les besoins des pratiquants qui me font face ? Qu'implique une telle «fonction» ? Quelle connaissance est-elle requise et, surtout quelle endurance faut-il avoir pour que toutes les parties prenantes soient «satisfaites» ?

Il est difficile pour les humains de vivre dans un continuum linéaire. Nous sommes soumis à des structures cycliques. Le désir de renouveau, de régénération conduit inévitablement à la répétition. Qui n'a désiré que ce qui fut, un jour, puisse réapparaître exactement identique à soi-même ! Nous organisons le temps de façon à ce qu'il s'écoule selon des cycles, de façon à rendre possible un recommencement dans le temps, de façon à pouvoir tracer des limites. Cela nous procure une certaine liberté, mais nous impose aussi des contraintes. «Pourquoi un aïkidoka devient-il enseignant ?»

Prenons la situation de la famille aujourd'hui. Un exemple parmi tant d'autres : le déclin des traditions à la suite de l'abandon des rites religieux, lui même dû, entre autres, à la pression exercée par la société de consommation. Noël et Pâques sont aujourd'hui fêtés pour d'autres raisons, dans un autre contexte que dans le temps. L'individualisme est au premier plan, les grandes familles ont cédés la place aux petites, les anciens n'y ont plus leur place mais sont placés dans une maison de retraite ou envoyés à l'asile de vieillards (rebaptisé «centre gérontologique»), le célibat des "singles" devient la norme. Ce qui reste, ce sont des désirs qui, quand ils ne sont pas satisfaits sont la source de conflits.
Et comme les conflits constituent une action collective, ils deviennent, potentiellement tout au moins, à leur tour rituels. Selon la règle : «Comme on a tout, mais qu'en fait on n'a rien, alors on s'affronte». Ce rituel indique quelque chose d'oublié, de refoulé, qui agit encore dans l'inconscient mais dont l'origine a été oubliée.

Autre exemple : quand le présentateur vedette d'une émission de télévision, sortant par une porte qu'ouvre, comme par magie, une main invisible descend dans un halo de lumière les marches du grand escalier qui le mène vers la scène, cela évoque la célébration des mystères de quelque culte.

Je ne sais pas dans quelle mesure ces éléments inconscients jouent un rôle, mais ce personnage qu'une main invisible a «mis à la lumière» et qui, souverain, descend vers le public rappelle une image que nous avons tous déjà vue, une image du Sauveur, par exemple. Où est-ce l'effet du hasard ? Ce sont ces citations à fortes connotations historico-culturelles qui font que nous acceptons cela.

Revenons à ce qui se passe sur les tatamis.

Cela me rappelle le Moyen-Âge. Au Moyen-Âge, à cause de l'analphabétisme de la majeur partie de la population, l'apprentissage des traditions culturelles se faisait, non par des textes mais par des images. En particulier, des scènes rituelles étaient constamment représentées pour s'imprimer par répétition dans la mémoire des gens. Le passage du pictural au verbal, l'utilisation de l'écriture, amena un changement. Ce changement vers l'écrit fit passer le centre de gravité du contrôle social vers la loi. Pour la religion juive la loi forme le rituel qui règle le cours de la journée.

Ritualisons-nous l'aïkido ?

Les rituels contribuent à fonder et à maintenir une culture. Avant tout, il ne faut pas oublier que la sémantique des rituels est très flexible. Mais aujourd'hui encore ils ont quelque chose en commun : ils «libèrent» et ils «contraignent». L'aspect contraignant est le plus apparent. Ils organisent, structurent, ils ordonnent, ils donnent une structure au temps.

Horst Schwickerath

 

P.-S. : À la demande générale nous lançons un «petit concours de dessin». Les dessins doivent représenter une technique ou une situation typique d'aïkido. Le concours est ouvert à tous. Le jury se compose de l'ensemble des lecteurs d'Aïkido Journal.

La date limite pour l'envoi des dessins est le 15 novembre 2002. Les dessins reçus seront publiés dans les numéros 5 de l'édition française et 33 (1/03) de l'édition allemande. Le résultat du concours sera annoncé dans les numéros 6 de l'édition française et 34 (2/03) de l'édition allemande.

La gagnante ou le gagnant recevra le livre : Encyclopedia of Aikido de Stanley A. Pranin.

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