Qu'est-ce qu'une vie accomplie ?
Dans le cerveau humain, c'est au niveau de la structure profonde du système limbique (rhinencéphale) que sont ancrées nos réactions émotionnelles. Celles-ci viennent s'associer à nos expériences vécues lorsque nous mémorisons des perceptions. Ce n'est qu'ainsi qu'il est possible de remplacer un comportement instinctif par un processus d'apprentissage.
Deux réactions de base constituent le ressort de ce mécanisme : la curiosité et la peur. La curiosité est présente dès la naissance. Nos expériences vécues la dirigent. Rechercher, voire provoquer, certaines situations qui jouent un rôle important pour le développement de notre faculté d'apprentissage va se trouver associé à des vécus précédemment mémorisés. Pour nous sentir bien nous avons donc besoin de stimulations et nous les recherchons.
Une situation pauvre en stimuli est ressentie comme désagréable, elle suscite l'ennui. Par exemple quand un professeur ne sait pas comment s'adresser, y compris au niveau émotionnel, à ses élèves de manière à interpeller leur capacité de compréhension, ils s'ennuient.
Nous n'apprécions pas non plus les excès de stimulation et nous les évitons. Un niveau modéré d'activité cérébrale est agréable, c'est alors que le cerveau travaille le plus efficacement. Des jeux mathématiques sont plus stimulants qu'un rabâchage borné et il faut trouver la mesure adaptée au niveau de développement de l'élève.
Où naissent nos désirs ? Ils naissent aussi dans notre système limbique. Comme on associe les désirs à la réalisation du bonheur, on devrait logiquement établir l'équation « désirs satisfaits = bonheur atteint » !
Le bonheur tient-il uniquement à la satisfaction de nos désirs ? Et ce bonheur mène-t-il à une vie « accomplie » ?
Ce bonheur ne se dissipe-t-il pas ? Revient-il ? Ne revient-il, et ce pour un court moment, que quand un nouveau désir se voit satisfait ? Ou bien les désirs satisfaits sont-ils toujours mémorisés sous la forme d'un « sentiment permanent de plénitude » ?
Dans sa Critique de la raison pure, Emmanuel Kant écrit que « Le bonheur est la satisfaction de tous nos penchants » (trad. Tremesaygues et Pacaud, PUF 1944, p. 544). Dans la Critique de la raison pratique il exprime une pensée similaire : « Le bonheur est l'état dans le monde d'un être raisonnable, à qui, dans tout le cours de son existence, tout arrive suivant son souhait et sa volonté. » (trad. Picavet, PUF 1943, p.134)
Cela sonne banal, dans la mesure où, analytiquement il est en effet vrai que quand nous désirons et voulons, nous désirons et voulons précisément ce que nous désirons et voulons. Nous pouvons certes nous comporter de façon critique envers nos propres désirs et notre vouloir, mais quand nous agissons ainsi nous établissons simultanément de nouveaux désirs qui sont tout aussi importants pour cet accomplissement. Tout désir, aussi fondé soit-il, est pur désir de satisfaction.
Cette liaison intime entre désir et satisfaction ne constitue qu'une partie de la vérité. Car qu'un désir soit désir de satisfaction n'entraîne pas nécessairement qu'un désir soit satisfait quand le sujet désirant a atteint la situation désirée.
Une fois un désir réalisé, aussi « raisonnable » qu'il puisse être, s'inscrirait-il même dans un projet de vie rationnel, on a encore à répondre à la question de savoir si sa satisfaction à ce point donné de la vie représente véritablement pour le sujet désirant une telle satisfaction.
Donner et recevoir
Nous ne voulons pas simplement recevoir ce que nous voulons. Nous voulons, pour être heureux, être étonnés par notre bonheur. Souvent nous ne voulons pas obtenir exactement ce que nous voulons, mais un petit peu plus et, idéalement, quelque chose de différent - au moins un peu. C'est pourquoi le désir ne s'éteint jamais dans sa satisfaction : Marcel Proust remarquait qu'à la place de ce que notre imagination nous fait espérer et que nous nous efforçons vainement d'atteindre, ce que la vie nous offre est incommensurable aux promesses de notre imagination.
Les conséquences
Ce que nous espérons n'est pas nécessairement ce que nous pensons raisonnablement pouvoir espérer. Une catastrophe n'est pas nécessaire pour que nos plans soient bouleversés. Il en va de même pour de nombreux instants de réussite existentielle. Dans le bonheur comme dans le malheur la vie tend à dépasser nos désirs et nos voeux.
Comment gérer nos désirs insatisfaits, ou imparfaitement satisfaits ?
Mais la question la plus importante, et la plus difficile reste : « Que faut-il pour que l'on puisse parler d'une vie accomplie ? »