Horst Schwickerath

Une courte promenade à l’Europe de l’aïkido, par dojos, clubs et stages, nous a amené à nous demander si, parallèlement à la pièce officiellement à l’affiche, ne se jouait pas là quelques fois un tout autre théâtre. Dans certains cas, nous avons vu, derrière l’enseignant, se profiler l’ombre d’un prêtre célébrant un office, d’un prédicateur prêchant à des fidèles au bord de l’extase. Dans d’autres, un dresseur faisant sauter des toutous (quelques fois déguisés en loups) à travers des cerceaux. Nous avons observé des adjudants faisant marcher à la baguette des aspirants samouraïs.

Visiblement, dans chacun de ces cas, aussi bien l’enseignant que les pratiquants venaient trouver sur le tatami une satisfaction n’ayant pas directement de rapport avec les mouvements et les techniques effectués.

L’aïkido était pour son fondateur acte de purification - nous dirions de libération - du corps, « le nettoyer de ses impuretés » disait-il. C’était pour lui permettre de jouer son rôle de médiateur entre le ciel et la terre (Ame no Ukihashi). Parmi les scories qui doivent être éliminées pour progresser dans la voie, vers la maîtrise, ne faut-il pas compter aussi les comportements plus ou moins pervers qui ne permettent qu’une parodie de transmission d’une caricature de tradition?

Sinon en allemand, du moins en français et en anglais le même mot sert à désigner celui qui a atteint un haut niveau dans son art et peut, doit, le transmettre à ses apprentis et celui qui exerce un pouvoir, voire une autorité absolue, sur un ou une autre considéré comme inférieur.

Maître et élève mais aussi maître et serviteur, maître et esclave, le maître et son chien. Le maître spirituel se situant quelque part entre ces deux pôles sémantiques. En japonais il n’y a pas d’ambiguïté entre senseï et shujin et le premier était, tout comme le maître d‘armes occidental, un simple serviteur de son seigneur, au même titre que le maître queue, ou celui de danse ou de musique.

Dans l’entretien que nous publions dans ce numéro d’AJ, Tiki Shewan cite la définition que Me Tamura donna un jour du maître : « Un maître, pour moi, c’est quiconque a quelque chose que je veux apprendre et de qui je peux l’apprendre ». Ni plus, ni moins.

Le psychanalyste Jacques Lacan dont l’entourage immédiat comptait quelques uns des maoïstes mondains les plus en vue à l’époque avait justement diagnostiqué chez ces pseudo-révolutionnaires un « désir de maître ». Autrement dit un désir de soumission à une autorité (gourou, dogme, formes figées) qui permet de ne pas devoir assumer le fardeau d’avoir à décider et à agir par et pour soi-même. Lacan aurait pu tout aussi bien montrer du doigt le symétrique de ce désir-là : le besoin de certains de s’ériger en « petit chef » ou en plus ou moins grand prêtre (comment Lacan, gourou entre les gourous, aurait-il pu se dénoncer lui-même ?)

La responsabilité de l’enseignant d’art martial est énorme. Il dispose d’une très vaste autorité, de par son statut de « transmetteur » d’une tradition au croisement du martial et du spirituel. Il se doit d’être conscient de ce qui se joue entre les protagonistes de la pratique, des complexes divers que professeurs et élèves apportent sur le tatami.

Que fait-il véritablement quand il corrige les « erreurs » des pratiquants ? Les guide-t-il dans la voie ou se donne-t-il la satisfaction égotique de l’exercice d’un pouvoir. Agit-il par dévotion à la perfection technique ou pour démontrer sa « supériorité » Les aide-t-il à se développer ou les engonce-t-il dans le carcan de formes sans vie ?

Toutes les certificats et les brevets, qu’ils soient délivrés par l’État ou une fédération, n’empêcheront pas frustré(e)s, complexé(e)s, névrosé(e)s de tout poil ayant un certain niveau technique de venir sévir sur le tatami, devant la kamisa. Sans la vigilance active des pratiquants, envers les enseignants comme envers eux-même, rien n’empêchera que sous couvert d’une pratique de l’aïkido (ou de tout autre art martial) d’aucuns continuerons à vivre leurs phantasmes et à les imposer aux autres pratiquants.

Un appel à nos lecteurs : Vous participez à un stage. Vous êtes enthousiasmés ou au contraire frustrés par ce que vous avez vécu. Vous avez beaucoup appris ou avez perdu votre temps et votre argent. Alors, qu’attendez vous pour faire partager votre plaisir ou votre colère ? Vous avez ramené quelques photos (essentiel !) ? Il ne vous reste plus qu’à vous mettre à vos claviers et nous envoyer votre reportage.

Et bien sûr : TOUTE LA RÉDACTION D’AIKIDOJOURNAL SOUHAITE À SES LECTEURS DE JOYEUSES FÊTES ET UNE BON PASSAGE VERS L’ANNÉE 2006 !

La rédaction

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