Horst Schwickerath

Longtemps les éditoriaux de nos numéros 10 et 11, où nous traitions de l'aspect politique de l'activité du fondateur de l'aïkido, étaient restés sans réponse. Puis apparut sur le site www.suwariwaza.com un article qui, sous le titre « O Sensei fut-il fasciste ? » se réfère explicitement à nos éditoriaux et se donne, implicitement, pour but de les réfuter.

Gaudeamus, nous dîmes-nous. Un historien prêt à engager le fer - il se présente sous le nom de plume « Spirit of Katana » – et qui de surcroît maîtrise le passé simple ! Notre joie n'a pas survécu à la lecture de l'article.

L'auteur présente ainsi son ouvrage : « En résumé, ce dossier, n'a pour unique prétention que de présenter des pistes de réflexion. C'est à partir de ces pistes, forcément lacunaires du fait de la rareté des sources fiables en français sur cette époque nippone, qu'il conviendra à chacun, je pense, de laisser s'envoler l'intuition qui elle seule, dont les deux ailes ont pour nom Raison & Honnêteté, permettra d'appréhender ce versant obscur de la vie d'un des hommes les plus vénérés de notre époque…»

Passons sur le style. Et sur l'hyperbole (O Sensei, un des hommes les plus vénérés de notre époque ?)

Le but que nous nous étions donné était justement de débarrasser le portrait du fondateur qui est au kamiza de la poussière et des toiles d'araignée de la «vénération». Ceux que cela dérange peuvent toujours remplacer dans leur dojo ce portrait par celui d'une vache sacrée. Quoique … dans sa conclusion « Spirit of Katana » nous montre qu'il n'a peur du blasphème : «Pardonnez-moi la comparaison, mais Ueshiba est en quelque sorte un christ des arts martiaux japonais. »

Pauvre de nous qui croyions que la science historique se basait sur autre chose que sur l' « intuition », aussi « honnête » soit-elle. Ah ! Si nous avions su cela du temps lointain de nos études, combien de travail cela nous aurait-il épargné !

En l'espèce, arguer de la rareté des sources revient à admettre que l'on n'est pas compétent pour traiter du sujet. Car les sources existent et quand on se donne le nom flamboyant de « Spirit of Katana » on doit pouvoir être à même d'accéder aux (nombreux) textes en anglais disponibles aujourd'hui sur Internet.

Un des points de notre analyse qui semble chagriner notre critique c'est la mise en cause de la secte Omoto-kyo. à laquelle O Sensei a appartenu (notons cependant qu'une fois installé à Tokyo début 1927 il distend ses relations avec elle pour se consacrer à son activité d'enseignement). Prenant pour argent comptant le langage apparemment universaliste employé par Deguchi, « Spirit of Katana » s'insurge que l'on puisse prêter des aspirations chauvine à la secte dont le premier était le gourou. Commentant la fameuse expédition de Mandchourie il écrit : « Ce n'était nullement dans un but expansionniste, nationaliste, bien que Onisaburo considère le Japon comme le parangon des Nations et le toit unique sous lequel, métaphoriquement, s'abritera l'Humanité harmonisée…». On goûtera la logique de la phrase et en particulier le « métaphoriquement ».
Spirit of Katana est un adepte de ce que Roland Barthes, dans un des articles rassemblés dans ses « Mythologies » appelle « L'opération Astra». Il s'agit de « prendre la valeur d'ordre que l'on veut restaurer ou développer, manifester d'abord longuement ses petitesses, les injustices qu'elle produit ; les brimades qu'elle suscite ; la plonger dans son imperfection de nature ; puis au dernier moment la sauver malgré ou plutôt avec la lourde fatalité de ses tares. »

Il admet que : « Deguchi, certes, connaissait Ryohei Uchida, créateur du Kokuryukaï ou « Société du Dragon noir ». Cette société terroriste et ultranationaliste qui regroupait l'élite des nationalistes nippons (banquiers, cadres d' armée, etc.) rêvait d'une Asie entièrement japon aise et n'hésitait pas à recourir aux attentats. Il est exact aussi que les deux hommes co-fondèrent une association (…) Mais c'est pour ajouter : «Mais après tout, qu'est-ce que cela change ? » Comme aurait dit Fernand Reynaud : «Tonton, pourquoi tu tousses ?» (N'oublions pas de nous régaler délecter au passage de cette «organisation terroriste» qui «n'hésite pas recourir aux attentats.»)

Cette association, la Showa Shinseikaï se donnait comme but de : « Proclamer et propager la divine Voie impériale pour pratiquer l'amour pour l'humanité entière et l'amour du bien». Comme nous l'avons écrit, et comme le prouvent les mémoires de Toshiki Karasawa, à l'époque chef de la police, que nous ne pouvons citer ici faute de place, la persécution dont Omoto-kyo fut l'objet avait beaucoup moins à voir avec les prétentions mégalomanes d'Onisaburo qu'avec des luttes au sein des classe dirigeantes japonaises. Entre les deux « incidents Omoto » (1921 et 1935), quand la faction à laquelle appartenait la secte avait le dessus Onisaburo était un personnage quasi officiel : ainsi la Showa Shinsekei fut fondée le 22 juillet 1934 au Gunjin Kaikan, un lieu de réunion dépendant de l'armée et adjacent au sanctuaire militaire de Yasukuni, en présence de membres du gouvernement, de l'État major et d'hommes d'affaire. Que l'on ne nous parle pas d'un Deguchi qui « refusa toujours d'entrer dans les visées gouvernementales ».

Quant à : «Culte du Chef, repli identitaire, autoritarisme, répression et embrigadement des individus, etc. : voila ce contre quoi le Deguchi politicien luttait avec une indépendance d'esprit et un audace assez rares à l'époque… (…)», nous renvoyons nos lecteurs au témoignage d'André Cognard, qui a l'avantage de connaître la langue et d'avoir eu un contact privilégié avec un des élèves les plus proches de O Sensei, que nous avons publié dans nos colonnes. Quelque contorsions intellectuelles auxquelles on se livre, Onisaburo est bien plus proche du Révérend Moon que de Gandhi !

Par ailleurs, nous devons un mea culpa a nos lecteurs : dans le premier des deux éditoriaux en cause, nous écrivions : « Tout d'abord, O Senseï était un homme de son temps et de son milieux. » Ce cliché est aussi trompeur que plat. Certes nous rectifiions le tir dans l'éditorial suivant, mais que ce soit répété ici : au temps même où faisaient rage le fanatisme hyper-nationaliste, le retour aux superstitions les plus arriérées, le culte de la violence armée, il y avait au Japon des intellectuels et des militants démocrates, humanistes, socialistes et un mouvement ouvrier puissant. Eux aussi étaient des hommes de leur temps et de leur pays.

Nous consacrerons bientôt un article à l'histoire de la Genyosha et de la Kokuryukaï. votre aikidojournal

 

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