Horst Schwickerath Une question tarabuste depuis quelque temps l'auteur de ces lignes (en passant, Une lectrice s'étant enquise auprès de la rédaction de son identité, il lui fut répondu, langue de bois journalistique oblige que «l'éditorial représentait le point de vue collectif de la rédaction». En réalité c'est le chat que vous voyez sur la photo qui est en train de taper de la patte sur le clavier). Je disais donc qu'une question tourmentait mes félines cellules grises : quel est l'horizon aïkidoesque du pratiquant lambda ?

Ce que je veux dire ? Prenons un exemple : Pierre pratique dans un club deux ou trois fois par semaine. Il n'est jamais allé à aucun stage, et ne s'intéresse ni à l'histoire, ni à la «philosophie» de l'aïkido. Il vient, il pratique, il transpire. Peut-être va-t-il boire une bière avec les copains après le cours (biru geiko). Son horizon aïkidoesque comprend un ou deux enseignants et la vingtaine de personnes avec qui il pratique. Il appartient à une fédération pour l'assurance, sait vaguement qu'il y en a une autre, mais cela ne l'intéresse guère. Ce qui ne l'empêche pas d'être un pratiquant sincère qui met tout son cœur dans ce qu'il fait au club.

Paul pratique comme Pierre mais en plus il fréquent les stages de ligue de sa fédération, a peut-être même passé un grade dan. Il a suivi les cours de deux ou trois experts français ou japonais de passage, il a lu quelques livres, il connaît un peu l'histoire de l'aïkido dans son pays. Il sait que différents styles existent et que le sien est de loin supérieur aux autres. Quand il entend le nom d'Ueshiba il ne comprend pas « Où est Chiba ?». Son horizon est un peu plus large.

Marie, elle, a pratiqué sur trois ou quatre continents, a bien sûr tâté le tatami du Hombu Dojo de Tokyo, elle ne compte plus depuis longtemps les stage qu'elle a faits, sur son passeport fédéral les autographes des Shihan célèbres, vivants ou décédés, s'alignent à longueur de colonnes. Elle a tout lu de ce qui s'est publié non seulement en français mais aussi en anglais sur tous les aspects de l'aïkido. Elle est incollable sur l'histoire du moindre filet de chaque courant issu de la source commune. Elle peut disserter des heures durant sur les 36 variantes de shiho nage et expliquer le sens ésotérique des plis du hakama. Elle a aussi touché aux styles étrangers à l'Aïkikaï. Son horizon aïkidoesque est des plus étendus. Ce qui ne préjuge en rien de ses qualités ni de son niveau technique.

Étant un chat, je n'ai jamais eu besoin de mettre les pattes dans un dojo ni d'essayer vainement d'imiter un expert. Ce que vous appelez aïkido, nous, les chats, sommes nés avec. Ce n'est peut-être pas juste, mais c'est comme ça. Et en plus je peux voir non seulement ce qui se passe maintenant dans un dojo particulier, mais je peux me représenter simultanément toute l'histoire de tous les dojos dans tous les pays. Et comme je suis cha(t)ritable je veux vous faire partager cette vision.

C'est un des objectifs que je m'étais donnés quand j'ai lancé Aïkidojournal : étendre l'horizon, ainsi compris, des pratiquants, ses lecteurs. Dans nos deux derniers numéros nous avons présenté quelques aspects de l'aïkido en Roumanie. Ce présent numéro est consacré en grande partie à l'aïkido polonais qui vient de souffler ses trente bougies. Les pratiquants français, et plus généralement ouest-européens, n'ont pour la plupart que peu d'idées de ce qu'il a fallu d'efforts, de détermination et de dévouement de la part d'une poignée d'enthousiastes pour permettre à l'aïkido de s'implanter, de se développer et de fleurir dans les pays de «démocratie populaire» pour ne pas parler de l'Union soviétique. Ici, et depuis longtemps, tout est tenu pour acquis : un lieu où s'entraîner, dojo privé ou structure associative, un tatami confortable sur lequel il fait bon rouler, un enseignant dont en France le brevet garantie qu'il possède un minimum de compétence, une offre abondante de toute une gamme de tenues et d'armes, des plus bon marché aux plus luxueuses, l'embarras du choix quant aux stages, et j'en passe. Pour ne pas parler de généreuses subventions étatiques.

En Pologne, jusqu'en 1989, l'aïkido était sinon hors-la-loi, du moins en marge de celle-ci. De la part des autorités, aucun soutien matériel, mais chicanes sans fin. Keikogi et hakama sortis de la machine à coudre de la mère ou de l'épouse. Armes de fabrication artisanale, souvent «en perruque». Tatami sentant bon le foin… Mais un enthousiasme, une flamme, une volonté d'apprendre et une générosité rarement rencontrées dans nos contrées depuis l'ère des pionniers, les années cinquante et soixante.

Depuis, transformations politiques aidant, l'aïkido polonais n'est plus du tout la Cendrillon de l'aïkido européen, au point que l'un de ses principaux animateurs, Jerzy Pomianowski (vous pouvez dans ce numéro lire l'entretien qu'il nous a accordé), a été amené à représenter son pays à Tokyo en tant qu'Ambassadeur !

Par ailleurs, je vous recommande vivement la lecture du très divertissant ouvrage écrit par l'un de mes ancêtres : «Wagahaï wa neko de aru» , publié sous le nom de la personne qui avait l'honneur de l'héberger et de le nourir, le romancier Natsume Sôseki. Paru en France aux Éditions Gallimard, Collection Connaissance de l'Orient, sous le titre «Je suis un chat».
les pratiquants, ceux qui trouvent plaisir et joie sur le tatami, fassent entendre leur voix et forcent tous les protagonistes à mettre leurs actes en accord avec les idéaux qu'ils professent.

Nous souhaitons une bonne fin d'année et des fêtes toutes de paix et d'harmonie à tous nos lecteurs et lectrices, et de rouler d'un bel ukemi dans la nouvelle année.
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