Horst Schwickerath Une question tarabuste depuis quelque temps l'auteur de ces lignes (en passant, une lectrice s'étant enquise auprès de la rédaction de son identité, il lui fut répondu, langue de bois journalistique oblige que «l'éditorial représentait le point de vue collectif de la rédaction». En réalité c'est le chat que vous voyez sur la photo qui est en train de taper de la patte sur le clavier). Je disais donc qu'une question tourmentait mes félines cellules grises : quel est l'horizon aïkidoesque du pratiquant lambda ?

C’est pour Aikidojournal un grand plaisir que de pouvoir présenter à ses lecteurs le long entretien que Pierre Chassang, un des pionniers de l’aïkido français et un des fondateurs de la Fédération Internationale d’Aïkido, nous a fait l’honneur de nous accorder. Les pratiquants y trouveront, outre des informations sur les débuts de la discipline en France, moult matière à réflexion.

En particulier sur un point sur lequel converge beaucoup des discussions portant sur la question «l’aïkido est-il un art martial/ un budo» (encore faudrait-il s’entendre par ce qu’on appelle art martial… ) : la place (ou l’absence) de l’atémi en aïkido. Pour Pierre Chassang, la réponse est claire. Se référant à Me Tadashi Abe il déclare: «Quand on me dit qu’en aïkido il n’y a pas d’atémi, je trouve ça très curieux, parce qu’avec lui, on avait ses poings sous les yeux, et après il passait le mouvement. Il y avait d’abord l’atémi. Il y a beaucoup d’atémi en aïkido.» C’est dans le même sens que va le DR John H. Riggs dans son texte sur points de pression et atémis. Les photos de O Sensei qui illustrent cet article, dont certains datent de sa période soi-disant pacifiste d’après guerre, sont un élément important de ce dossier. Incidemment, pour ce qui est du pacifisme de O Sensei, nous ne résisterons pas à la tentation de citer son fils, le deuxième Doshu qui, avec Toïchi Tohei, a dirigé l’aïkido « moderne » sur des voies plus en accord avec l’esprit du temps. Interrogé sur ce qui avait conduit son père au pacifisme, il eut du mal à comprendre la question, puis répondit : « Quoi ? Mon père n’a jamais été pacifiste. Il était au-delà de tout ça, du bien et du mal, de ce genre de chose. » Puis, après un moment de réflexion, il ajouta : «Ce que nous faisons c’est un art martial. Il arrive que des gens soient blessés. Si vous voulez faire quelque chose où il n’y a pas de risque de se faire mal, vous devriez faire de l’ikebana ou du shogi [espèce de jeu d’échec]. » (D’après Ellis Amdur)

Dans son livre « Le Fondateur de l’Aïkido, Morihei Ueshiba », Kisshomaru Ueshiba écrit : « Ses élèves l’attaquent de toutes leurs forces et ils tombent sous une averse d’atémis contre leurs points vitaux. (…) Il disait : « Ma technique est 70 pour cent atemi et 30 pour cent nage ». Gozo Shioda dans son « Total Aikido » rapporte cela d’une manière un peu différente : « Le fondateur Ueshiba Sensei disait : ‘Dans un combat réel, les atémis comptent pour 70 pour cent et la technique pour 30 pour cent’ ». Mais le sens est le même.

Mais un atemi ce n’est pas seulement un coup frappé. Pour George Ledyard, un élève de Saotome Sensei, « Cela peu être un kiaï, cela peut-être une décharge d’énergie, tout ce qui peut capter et détourner l’attention de l’attaquant. Mon amie, Joanne Veneziano Sensei, faisait la bise à son uke pendant irimi nage… c’était amusant de voir un gars costaud perdre toute contenance et s’effondrer quand cela arrivait. Saotome nous a raconté une autre histoire : O Sensei voulait faire nikkyo sur un de ses élèves, un type qui faisait dix mille suburi chaque jour et qui avait les poignets gros comme des chevilles. Au début il n’a pas réagi et O Sensei a souri et lui a mordu le petit doigt, ce qui complètement dérangé l’énergie du gars et O Sensei l’a fait tomber. » Un linge blanc jeté à la face de l’attaquant, ou une grimace peut faire l’affaire. Au Hombu Dojo de Tokyo Watanabe Sensei est réputé pour sa prendre ses uke à contre-pied et les forcer à la chute sans même les toucher.

Mais pour de très nombreux pratiquants, tout cela n’est pas l’essentiel. Leur recherche, disent-ils, n’est pas d’affrontement mais de communication, de travail sur le corps, sur l’équilibre, sur le centre. Un travail de développement de soi. Dans l’équation posé par O Sensei : Budo = Amour, ils ne voient que le second terme. Toute référence à une quelconque efficacité, toute mise en rapport avec une réalité « hors dojo » est rejetée, est jugée primitive et grossière. Et si parfois ce discours cache un manque de rigueur dans la pratique, c’est loin d’être la règle et parmi ceux qui le tiennent on trouve les plus fins techniciens.

Il en va un peu de l’aïkido comme de la chauve-souris de la fable de La Fontaine : « Je suis oiseau, voyez mes ailes » se présente-t-elle quand cela lui convient, mais elle soutient « Qui fait l’oiseau ? C’est le plumage. Je suis souris, vivent les rats ! » si cela l’avantage. (Et si la morale de la fable est « Le sage dit, selon les gens, ‘Vive le Roi ! Vive la Ligue !’ » que l’on n’y voit aucune, mais vraiment aucune, allusion aux récentes élections présidentielles.) L’aïkido se présente ainsi, selon les circonstances et l’interlocuteur, comme une forme de Zen en mouvement ou comme l’essence même des arts martiaux japonais. Que les différents aspects (ou masques… ) sous lesquels se montre l’aïkido soient exprimés par différentes personnes ou courants ne change rien à l’affaire. Si ce qui unifie sous un seul nom la multiplicité et la diversité des pratiques est autre chose qu’un simple artifice lexical, il faut admettre que l’aïkido est tout à la fois oiseau et souris, et d’autres créatures encore.
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