Tradition/savoir-faire

Série II


Léo Tamaki.

Les pratiques martiales sont des savoir-faire transmis de générations en générations. Comme toutes traditions, elles sont traversées par deux tensions contradictoires, le désir de préserver l’enseignement reçu, et la volonté de perpétuer l’élan qui leur a donné naissance. Ces tendances sont-elles toutes deux nécessaires? Sont-elles compatibles?


Pas de tradition sans préservation
Il va de soi que la nature même d’une tradition est fondée sur la transmission. Dans les pratiques martiales qui sont par essence extrêmement riches et sophistiquées, cela s’est fait depuis l’antiquité grâce à l’exemple physique, l’enseignement oral et l’écrit. Si les médias modernes que sont la photographie et la vidéo commencent à faire partie du processus, cela reste encore à la marge, de nombreux experts considérant leurs apports au mieux limités, au pire néfastes.
Grâce à ces divers moyens, chaque maître transmet à ses élèves la tradition qu’il a reçue, plus ou moins agrémentée de ses apports personnels. Il devient ainsi un maillon de la chaîne de la transmission. Mais en quoi consiste ce qui est transmis ? S’agit-il d’une forme, d’un état d’esprit? Doit-on tenter d’être une “photocopie” aussi neutre que possible, ou doit-on adapter, faire évoluer ce que l’on a reçu ? Comme bien souvent, il n’y a pas de réponse simple à ces questions. Considérons les deux options.


Le savoir inaltéré des gardiens du temple

Tout d’abord il convient de noter que, si la tradition japonaise a développé un système de transmission extrêmement exigeant mais efficace, celui-ci ne peut permettre l’impossible et un élève présentera toujours des différences avec son maître, quel que soit son désir de l’imiter à la perfection. S’effaçant devant l’art, il a toutefois la possibilité de transmettre de façon aussi précise que possible l’enseignement reçu. Cette démarche, nécessaire et louable, est celle que l’on retrouve en Aïkido chez des adeptes tels que Saïto Morihiro ou Arikawa Sadateru. Limitant les interprétations, ces adeptes semblent avoir eu à cœur de transmettre aussi fidèlement que possible la pratique de leur maître, Ueshiba Moriheï. Ce sont, au sens le plus noble du terme, des gardiens du temple.


Les écueils du traditionalisme
Bien entendu cette démarche a ses limites, notamment celle des choix qui ne peuvent manquer de se poser. En effet, l’Aïkido est-il ce que faisait Osenseï en 1935, 45, 55 ou 65? Le Maître ayant évolué tout au long de sa vie, celui qui cherche à transmettre son enseignement se trouve face à la nécessité inéluctable de faire des choix. Par nécessité, il ne pourra transmettre qu’un instantané de la pratique d’un moment T. Son enseignement ne sera donc pas celui du parcours du maître, mais de la partie qu’il estime la plus achevée, amputée de ce qui lui est antérieur et/ou postérieur.
Un autre travers est celui de l’intégrisme. Figeant une pratique qu’ils estiment aboutie, les tenants du conservatisme peuvent avoir tendance à considérer de haut ce qu’ils considèrent comme des formes inachevées ou des déviances.


Poursuivre la route
Pour d’autres adeptes, la transmission passe par la nécessité de continuer le chemin, perpétuer l’élan donné par le maître. Après la maîtrise du savoir reçu, ils continuent alors à explorer, tentant d’enrichir, d’épurer leur pratique. Parmi les tenants de ces choix on peut citer les maîtres Yamaguchi Seïgo, Nishio Shoji, Kobayashi Hirokazu, Tamura Nobuyoshi ou Noro Masamichi. Chacun a, à sa façon, approfondi une facette de l’art d’Osenseï. Ils représentent chacun un possible, une évolution qu’aurait pu prendre le Fondateur s’il avait vécu plus longtemps.


Les pièges de l’innovation
Ici aussi, on ne peut …

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