La chronique Aïkï


Olivier pendant notre entrevue…

L’étranger qui débarque au Japon sera toujours surpris par deux phénomènes contradictoires : une modernité à toute épreuve, et une traditionnalité qui ne l’est pas moins. On dirait presque, en effet, qu’au Japon une succession de couches de laque polies est venue littéralement recouvrir tout un pan brut de son histoire pour à la fois la cacher et lui donner en même temps sa raison d’être. Suivant les lieux émergent en ce tableau moderne du Japon d’aujourd’hui comme quelques « paysages » ou objets exotiques, historiques, le plus souvent semi-offerts, ou demi-cachés, mais qu’on sent paradoxalement inébranlables et officiels (le Kabuki, les Bu, les artisanats, l’architecture, etc.). Mais c’est dans le social et les mentalités qu’on s’étonne le plus de voir à quel point ce traitement de la modernité au Japon est et se comporte comme un miroir adapté au passé. Le Japon, donc, se comporte exactement comme un mille-feuille dont on n’apercevrait toujours et finalement que la surface de sucre miroir au premier abord (la vision d’un « abord », d’ailleurs, qui peut durer longtemps !).

Les Japonais furent-ils les grands perdants du XX° siècle ? Peut-être, oui, à un titre : ils restèrent pour le monde entier des « îliens asiatiques commerçants », et donc ils ne purent jamais et jusqu’à présent se faire reconnaître bien au niveau de leur force culturelle propre, je veux dire à un niveau à la fois oriental, qui s’inclut dans une dynamique de géopolitique mondiale… et à la fois, ce qui va de pair, au niveau international des grandes décisions sur la planète du monde occidentalisé. La guerre du Pacifique signa pour eux non seulement la capitulation de leurs rêves de « maîtres du monde », mais aussi et surtout leur propre noyade dans un passé trop récent, trop abrupt, trop directif, dont les valeurs n’étaient pas compatibles avec les vues stratégiques de l’Occident. D’où le retrait quasi forcé, géopolitique, du Japon (en tant, décidément, que « non-blancs ») sur l’échiquier international ; et surtout leur difficulté à se faire accepter autrement que comme des « producteurs-inventeurs-marchands » infatigables et propagateurs certes et pourtant, sur la scène internationale (ce qui fit leur fortune d’après-guerre, me direz-vous).

Mais revenons sur leur passé justement : le Japon est un pays relativement « jeune » puisque son histoire remonte à seulement 660 avant Jésus Christ. On peut la décrire très brièvement par le « flash » de plusieurs grandes périodes : la période préhistorique : Jômon et Yayoi (-660 => 250) ; Antique : Yamato, Nara, Heian (250 => 1185) ; féodale : Kamakura, restauration de Kemmu, Muromachi, Momoyama (1185 => 1603) ; la période moderne enfin, dite d’Edo jusqu’en 1868, puis la période contemporaine jusqu’à aujourd’hui. Le Japon est donc passé d’une naissance vraisemblablement colonisatrice (par le sud des îles avec une lente remontée vers le nord de peuples venus du continent), à une adolescence à la fois studieuse et typiquement guerrière, puis une féodalité d’abord guerroyante qui s’est figée ensuite pendant toute l’ère Edo sur une unité nationale de repli territorial quasi absolu (250 ans quand même !), totalitaire et administratif, une organisation de société dans laquelle la lignée familiale des Shogun Tokugawa contrôlait totalement le pouvoir politique, social et économique du pays. Viendra par la suite la révolution extrêmement brutale de 1868 : un renversement politique, industriel et social, celui de l’ère Meiji qui va complètement laminer ces systèmes « anciens », pour essayer de placer le Japon dans l’occidentalité. Lors de cette révolution de Meiji, tous les domaines des connaissances mondiales – culturelles, industrieuses, intellectuelles, etc. – furent répertoriés par les Japonais, puis visés un à un, étudiés, extirpés, importés, exploités, intégrés, transformés à leur compte, et finalement produits et souvent réexportés « à façon » et, il faut le dire, pour le pire et pour le meilleur (le pire étant l’idée japonaise de guerre à la Clausewitz (les Européens ou les Américains dans l’histoire ne furent pas en reste d’ailleurs), et le meilleur sans doute ce qui concerne leur maîtrise technique actuelle (industrie, etc.)).

On ne se rend sans doute pas compte en effet à quel point ce peuple eut et a toujours une volonté de persistance dans l’effort, par le sacrifice au besoin, pour… le « parfait », la « perfection ».
Si l’on sait un peu ce que représente ce mot au Japon, on se rend compte à quel point cette volonté est incroyable. « Mais, me direz-vous, qu’est-ce que, finalement, ce mot de « perfection » exprime donc au Japon ? ». Car évidemment, de par notre éducation à la base chrétienne, nous ne voyons en ce mot, nous, Occidentaux, que son versant moral d’un « bien ». Et pour nous le « parfait », c’est en quelque sorte : « le mieux du bien ». Mais pour les Japonais, non, c’est vraiment autre chose. Le saviez-vous ?

« La perfection », au Japon, pour des Japonais, c’est : « Ce qui pourra rester », ce qui a priori sera à même de subir l’épreuve du temps avec succès. Il y a donc quelque chose qui émerge de cette conception du parfait au Japon : qu’il soit beau ou non, compassionnel ou cruel, bien ou non, le parfait, c’est d’abord ce qui va jusqu’au bout de son propre système (quel qu’il soit donc, ce qui fit problème souvent pour nos conceptions morales à nous), et avant tout, l’idée de ce qui peut devenir intemporel, ou de ce qui l’est !

Car là, pour un Japonais, on atteint au summum de ce qui est non pas « bien », mais de ce qui est absolu, insurpassable. On retrouve cela au Japon par exemple dans trois concepts tout à fait concrets et profonds, intéressants : celui de « Trésor National » (un artiste, un artisan, un poète en tant que personne vivante peut devenir un « Trésor National ») ; ou celui de « mouvement divin » (en arts martiaux (Bujutsu, Budô), ou d’autres arts autochtones (théâtre, danse, etc.)…). Vient ensuite un autre concept utilisé de façon passionnante et tout à fait pratique par les Japonais encore aujourd’hui : le concept de l’écriture japonaise par elle-même. Et je dis bien : « écriture » et non « langue » tant nous abordons là un phénomène très particulier au Japon : celui de l’utilisation de l’écriture comme référence iconographique à l’identité nationale japonaise.

Mais revenons à ce propos et brièvement à l’histoire : Après l’ère Meiji, à la fin du XIX° siècle, se profila une montée en puissance du Japon sur la scène internationale et industrielle. Ce pays des mille îles non seulement voulut soudain revendiquer sa place sur le planisphère occidental, son modèle d’alors. Mais plus encore, le Japon se trouva confronté à un problème épineux : comment assumer cette puissance potentielle sans ressources énergétiques ou sans matières premières ? Derrière l’implacable nécessité hégémonique des marchés, se dessina alors l’idée d’une Asie fédérée et forte, contrepoids de l’Occident, dont le Japon militariste aurait été à la fois le total dictateur et… l’exploitant. On sait que la réaction fut violente de la part de l’Occident puisque c’est ainsi, après l’attaque par les Japonais de Pearl-Harbour (suite au blocus économique décidé par les Américains, c’est vrai), qu’éclata la guerre du Pacifique en plein milieu du XX° siècle (ce n’est pas si vieux !).

Mauvaise stratégie politique, ultra militarisme aveugle et froid, borné et suicidaire en tous points, mauvaises alliances, le Japon sous-estima surtout la volonté de puissance de l’Occident, à « vouloir le monde pour lui tout seul et avec ses propres conditions d’exploitations ». Lorsque le B-29 Enola-Gay largua Little-Boy sur Hiroshima, et que le B-29 Bockscar largua Fat-Man sur Nagasaki, rasant en quelques secondes les deux villes et leurs alentours et faisant au bas mot entre 110 000 à 500 000 morts, les militaristes Japonais qui avaient refusé de capituler jusque-là (voir l’ultimatum de Postdam) virent s’anéantir leurs rêves de cette « Pan-Asie » japonaise du début du XX° siècle, …


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