WASHI-TSUKAMI : LA SAISIE DE L’AIGLE …


Olivier Gaurin à Tokyo

Donc et comme promis, Horst San, et pour plaire à la sagacité de tes lecteurs, je vais livrer ici, moi humble portier de la citadelle Aïki, une clef pourtant capitale. Et surtout je vais livrer une clef en or, générique et originelle, un véritable « passe-partout » de l’Aïki : « Washi-Tsukami » ! Car il apparaît qu’on me croise et me demande l’usage de cette clef très curieuse dont j’ai parlé dans un de mes articles précédents (N°57 FR). En général je n’enseigne ce genre de secret que « d’artisan à artisan », à chaud, et à l’entraînement (souvent aux femmes d’ailleurs). Je ne l’enseigne même pas en stage. Mais je ferai une exception aujourd’hui pour Aïkido-Journal. En effet il est dommage que l’Aïkido s’enfonce peu à peu dans la dualité du « plus fort qui gagne ». Car l’Aïkido, non, ce n’est pas ça, ou si peu. Même s’il faut, certes, être dans les meilleures conditions de vitalité et de puissance personnelles pour l’exercer !
Entrons dans le vif du sujet : il y a deux sortes d’Aïkido possibles : 1) l’Aïkido en « Taka-no-Tsume » (les « griffes de l’épervier »), et 2) l’Aïkido en « Washi-Tsukami » (les « serres de l’aigle »). Quelles en sont les différences ?
L’épervier est un rapace qui chasse à la volée, généralement des oiseaux plus petits que lui ou peu aptes à la défense (des passereaux, des grives, des tourterelles…). Il les attrape en vol, parfois en se retournant complètement sur sa victime comme un terrible acrobate tueur. Et pour cela il a besoin d’utiliser ses griffes comme des sortes de « tenailles », ou plutôt des « pinces à sucre » acérées. Ses griffes viennent enferrer sa proie qui, pour essayer de fuir, ne pourra que louvoyer dans les trois dimensions le plus rapidement possible avant de se mettre à couvert (si couvert il y a !). C’est un peu la technique de la pelleteuse munie d’une pince et qui veut détruire un immeuble.
Pour l’aigle, lui, et bien que ses serres paraissent semblables, c’est très différent (la forme de ses ailes, en effet, le différencie totalement de l’épervier) : car l’aigle chasse à l’aguet, en planant haut, puis fond avec détermination – raser/rafler/cueillir… – sur la trajectoire de sa proie terrestre, pour la « faucher » littéralement, serres en avant, en forme de double fourche, comme s’il avait deux « pinces-étaux » projetées devant lui. C’est donc là plutôt la technique du bulldozer qu’il met en place, grandement améliorée il est vrai.
Bien que ce ne soit pas exact bien évidemment, j’oserais presque dire que l’épervier chasse en trois dimensions lorsque l’aigle chasse seulement en deux dimensions (-> pelleteuse contre bulldozer). Car sur beaucoup de points de comparaisons, on retrouve cette différence en effet dans le travail des dimensions de l’action.
« Pinces à sucre » en 3D, ou « pinces-étau » en 2D, tenaille en 3D ou pince-canard en 2D, l’épervier ou l’aigle : saisie agrippante en 3D ou saisie pinçante en 2D. Voilà la différence. Et elle est de taille : l’épervier a besoin de serrer en griffes la chair de sa victime tournoyante dans les trois dimensions pour éviter qu’elle ne s’échappe, lorsque l’aigle a juste besoin de caler la structure générale de sa victime dans le creux de ses serres pour contrôler la liberté de fuite en deux dimensions de sa proie (ses proies étant principalement terrestres). Ce sont deux approches de la chasse complètement différentes !
En Aïkido l’attaquant idéal, et Tori surtout, retrouvent les mêmes topiques : faire l’épervier – « serrer/enferrer/larder/broyer » en 3D les chairs – ou jouer à l’aigle – « caler/pincer/raser/rafler » en 2D l’ossature d’Aïte (l’opposant).
Alors bien évidemment qu’il ne faut pas, par priorité, faire l’épervier ! Car la technique de l’épervier – c’est une autre différence entre ces deux volatiles – ne marche qu’avec moins fort que soi. Tandis que l’aigle avec sa technique du « fauchage pincé/piqué », lui, peut arriver à emporter beaucoup, mais beaucoup plus lourd et puissant que lui (un chamois par exemple).
Techniquement pour faire la saisie de l’aigle, il faut se servir de ses mains comme de pinces-canard et non comme de crochets articulés. Les ongles ne servent pas (seulement le bout des doigts est parfois actif afin de sécuriser la saisie, mais pas forcément). Les doigts eux-mêmes peuvent se replier, certes, mais sans force particulière en tant que doigts. Par contre l’utilisation du pouce en opposition des ténards est, elle, déterminante, ainsi, il faut le redire, que cette puissance de l’extrémité ultime des doigts (dernière phalange). Entre autre lors d’une utilisation optimale des Kyusho : et on retrouve là très exactement l’utilisation que fait l’aigle de ses serres : pincer ET verrouiller en même temps !
Et qu’est-ce qu’on saisit dans ce système de préhension très particulier de l’aigle ? Là aussi on ne saisit pas les chairs comme le fait l’épervier, enfin le moins possible. On saisit les os au travers d’elles, la charpente osseuse du partenaire : ce qui, justement, n’est pas fuyant dans un corps vivant mais qui le constitue réellement comme charpente mobile principale (système du pantographe). L’aigle vise cet objectif : « Saisir ce qui ne peut pas fuir chez le lapin qui essaye pourtant de fuir »…
Voilà « la » clef… enfin une clef : un outil fantastique. Oui, un grand secret. Car c’est une clef qui ouvre un tas de portes de l’Aïki d’autrefois, et celui d’aujourd’hui donc par la même occasion, celui qu’on nomme désormais Aïkido. Par exemple, les mouvements faits en Te-Katana viennent de là. Ils viennent de ce genre de travail en « Washi-Tsukami » (qui sait cela ?). Donc chaque fois que vous vous agrippez « bec et griffes » à votre partenaire, soit en faisant un mouvement (vous le poussez, vous le tirez, vous l’arrachez, vous l’empoignez, vous le forcez, vous le crochetez, l’agrafez, vous le grippez…), soit en l’attaquant (en saisie par exemple), eh bien vous faites seulement l’épervier. Bien, mais hormis le fait que vous encourez très facilement des coups, votre force d’agrippement devient une faiblesse si elle vise plus lourd ou plus fort que vous. C’est la raison pour laquelle l’Aïkido d’aujourd’hui, celui pratiqué majoritairement dans le monde, et en France aussi, est un Aïkido qui a renversé la principale de ses qualités : il est devenu un Aïkido prédateur sportif, celui des éperviers : celui des forts contre des faibles. C’est un Aïkido de body-builder : misérable dictateur déguisé en gentil garçon prônant une soi-disant « harmonie universelle » (et ici, bien que moins visible : les femmes comprises dans cette analyse, ce qui est un comble !).
Comprenez-vous maintenant la différence entre le travail de l’épervier et celui de l’aigle ? Et quel animal il faut imiter plutôt que l’autre en Aïkido, et pourquoi ? Parce que les techniques d’Aïki – utilisations du KI incluses bien entendu – visent en règle générale à pouvoir faire les mouvements sur un opposant qui fera jusqu’à une fois et demi (la norme) et même jusqu’à deux fois votre propre poids.
C’est simple : calculez. Si jamais vous faites l’épervier – comme la plupart des Aïkido-ka aujourd’hui – sans tricherie vous n’y arriverez pas ! Moi par exemple je fais 75 kg. Mon idéal d’Aïkido doit donc pouvoir fonctionner sans e


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