Aïkido Journal a quinze ans.


André Cognard à Bourg Argental.

Aïkido Journal a quinze ans. Ces quinze années ont été dédiées au service de l’aïkido dans son ensemble, sans sectarisme, sans protectionnisme. Horst a démontré sa volonté d’écouter et de faire entendre tout le monde, sans parti pris. En ce sens, il s’est montré aïkidoka avant tout.
Mais qu’est-ce donc être aïkidoka ? Qu’est-ce qui caractérise l’aïki attitude?
Je vais, dans un premier temps, répondre à ma question de manière laconique :
Ne couper qu’en soi, ne pas couper entre soi et les autres, ne pas couper dans l’autre.
Ne couper qu’en soi : Kobayashi sensei disait de son aïkiken qu’il permettait de couper son propre ego. Comment couper son ego sans y ajouter l’orgueil qui consiste à dire : « regardez comme je suis humble, je travaille à me défaire de mon ego » ? Il y a derrière ce type de déclaration une obsession de culpabilité engendrant un complexe d’infériorité, et se convaincre que l’on est en train d’oeuvrer pour se parfaire est une défense contre l’envahissement du sentiment d’infériorité et l’effondrement qui s’ensuivrait. Certains vont peut-être trouver mon propos licencieux mais j’ai souvent entendu, sous des formes moins ostentatoires, ce type d’affirmation et plutôt que de jeter la pierre je préfère essayer de comprendre ce qui peut conduire là. Tout d’abord je dirai qu’au fond, il n’y a rien de très étonnant car la frontière entre la vraie humilité et l’humilité défensive est mince et souvent difficile à discerner.
C’est l’attachement à des valeurs qui permet de savoir quel est le chemin à suivre. Non seulement ces valeurs aident à structurer une identité nouvelle, débarrassée des scories des souffrances vécues, mais elles font l’objet d’un service qui incite à l’abnégation. Quand j’emploie le mot service, je ne peux m’empêcher de rappeler le vrai sens de samuraï qui est « celui qui sert ».
Il n’est pas question pour nous, humains du vingt-et-unième siècle de rechercher une forme de renoncement à soi au bénéfice d’un daimyo tout-puissant qui peut décider de notre mort. Mais il s’agit bien de renoncer à l’illusion de toute-puissance. Nous sommes des tyrans pour nous-mêmes, quelles que soient nos croyances ou nos opinions, quel que soit notre point de vue sur le monde. Pour chaque individu, la croyance inconsciente dans le noumène de son « je » est à l’origine de cette tyrannie. En effet, sans avoir profondément conscience de l’interdépendance de tout ce qui vit, sans pouvoir faire face à notre finitude, sans avoir symbolisé l’identité du « un » microcosmique et de la totalité universelle, nous n’avons d’autre moyen d’élaborer notre relation au monde qu’à partir de l’expérience de notre propre conception. Celle-ci renvoie à la mise en place d’une identité fondée sur l’unicité, mais cette unicité n’existe que dans la profondeur de l’esprit. Or, cette profondeur est, par définition, celle qui est et reste ignorée de la conscience psychique. Cette dernière n’est élaborée qu’après la naissance. L’unicité psychique est une illusion créée par la convergence des regards et des intentions de l’entourage. C’est lui, l’entourage, qui développe le psychisme de l’individu et cette illusion est nécessaire pour que l’identité psychique soit préservée. Sans cette illusion, la conscience de l’individu ainsi développée deviendrait l’objet de ses créateurs, c’est-à-dire autrui. Le risque est le même pour le corps qui risque toujours d’être l’objet de ses créateurs, mère, père puis ascendants. Il existe la même illusion de possession de soi par le corps alors que celui-ci ne vit que par l’interdépendance avec la nature et ses prolongements. Si je résume, chacun n’est unique qu’en esprit, mais « la nécessité d’être soi dans l’existence » impose la constitution d’un inconscient protégeant cette unicité dans toutes les profondeurs de l’individu, même les plus superficielles. Chacun doit enfouir le souvenir d’être le produit de l’altérité pour préserver son « je ». Cependant, chacun a le souvenir inconscient de cette dette qui crée des obligations de loyauté inconscientes.
Tant que celles-ci ne sont pas pleinement assumées, le sujet est hanté par l’angoisse inconsciente de ne pas correspondre aux attentes de ses créateurs, lesquels sont innombrables si l’on prend en compte tous ceux qui ont participé et continuent à participer à l’élaboration de la conscience dudit sujet. Cette affirmation inconsciente de sa toute-puissance sur soi est donc le moyen de maintenir sa cohérence identitaire et c’est elle qui engendre toutes les manifestations de l’ego.
Il n’est qu’un moyen de se libérer de cette tyrannie, c’est de devenir le serviteur, le samuraï, non pas d’un chef de guerre, mais d’une cause qui permette d’exprimer sa loyauté à tous les humains, car tous les humains présents et passés participent à la conception de chaque individu. Chacun d’entre nous hérite à sa conception de la totalité des mémoires ancestrales. Une partie des mémoires ancestrales intervient dans l’élaboration de la mémoire somatique de l’individu. Cela passe par l’interface que constitue la mère. La manière dont elle vit la présence de l’enfant en elle, s’émeut, s’angoisse, conditionne sa manière de bouger, son rapport physique à elle-même et donc à l’enfant qu’elle porte. La chaîne psychosomatique de l’individu naît in utero. Une partie des mémoires ancestrales est transmise par les gènes et constitue la mémoire somatique du sujet. Mais ces deux mémoires s’élaborent et se structurent selon un code qui rend compte de la totalité des expériences humaines et l’interaction entre lesdites mémoires relie le sujet à la mémoire épiphylogénétique. Cela passe nécessairement par la conscience d’appartenir au genre humain, pas seulement d’un point de vue intellectuel. Ce sentiment suivez l'AJ 60FR

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