Aïkidō et changement intérieur

par Nathalie Maccario Vergeron – pour André Cognard

Nathalie Maccario-Vergeron
Nathalie Maccario-Vergeron

L’aïkido peut-il être le moyen d’un changement intérieur ? Comment ? Pourquoi ? Par quels leviers ? Tel est le sujet auquel il m’a été proposé de réfléchir pour Aïkido Journal. Avant de partager ici quelques considérations toutes personnelles sur ces questions, et ne prétendant bien entendu pas à une quelconque exhaustivité en la matière, il me faut indiquer que tout ce qui concerne la pratique martiale aura pour limite celle de ma propre (et courte) expérience de l’aïkido, au sein d’une seule et même école, devenue aujourd’hui le Kobayashi Ryu Aïkido (KRA)*.

Quelques définitions
À présent, commençons par définir le « changement intérieur », désigné ici comme finalité possible de l’aïkido. En tout état de cause, il est un « changement intérieur » qui fait florès. Érigé en Graal à trouver pour atteindre le bonheur, celui-ci fait vendre magazines spécialisés et méthodes miracles de développement personnel … Souvent, ce « changement intérieur » n’est vu que comme le passage obligé pour accomplir un but précis, qui était auparavant inaccessible : diminuer le stress, sortir de la dépression, faire changer ce qui ne va pas dans sa vie … On entre alors dans un processus linéaire fort pauvre : état antérieur -> méthode miracle -> changement intérieur -> réalisation du but défini, qui ne laisse guère le loisir d’explorer cet « intérieur » au-delà de ses couches les plus superficielles.
S’il n’est pas question de reprendre ici des débats que des siècles d’histoire de la pensée spirituelle, métaphysique, philosophique et psychologique n’ont pas suffi à trancher, partons du principe relativement consensuel qu’il y a, en nous, sujet pensant, plusieurs profondeurs. Celles-ci s’échelonnent de la plus superficielle – notre personnalité sociale, le personnage que nous nous sommes créés au fil de notre histoire et avec lequel nous interagissons en société –, à la plus profonde – celle qui serait, pour reprendre les mots de Maître Cognard, dans un document non publié, «siège de l’esprit un, unique, indivisible ». Entre les deux, se trouvent plusieurs couches, du plus conscient, au moins conscient, puis à l’inconscient, qui englobent des éléments déterminants de notre « je » auxquels nous avons plus difficilement accès. Toutes ces couches jouent un rôle variable dans la détermination de nos actions et pensées quotidiennes et, au-delà, dans ce que nous sommes et dans la façon dont nous nous percevons nous, en tant que « je ». On peut en tout état de cause supposer que plus le « changement », quel qu’il soit, prend racine dans une couche profonde, plus il est puissant, sincère, conforme à notre désir le plus intime …

Mais de quel « changement » parlerons-nous? Du résultat d’une évolution, ou du processus qui mène à ce résultat ? La distinction est essentielle. La première acception donne une finalité à la recherche, quand la seconde voit l’intérêt de la recherche elle-même, quel que soit le résultat … Laissons, si vous le voulez bien, les « changements intérieurs » visant un résultat préalablement fixé aux marchands de bonheur facile, pour nous intéresser au(x) processus de changement intérieur, démarche qui me semble la plus en accord avec notre discipline martiale, qui est elle-même processus de recherche.

“Une seule chose est constante, permanente, c’est le changement”. On peut tout à fait adhérer à cette affirmation d’Héraclite, philosophe grec du IVe-Ve siècle av. J.-C.. Encore faut-il ajouter que, si ces processus évolutifs adviennent, dans l’absolu, ce qui fait qu’ils sont « changements », est que le passage d’un état à un autre est perçu par une conscience, de même que le temps écoulé entre les deux. Cela est vrai aussi de toute évolution psychique : tout « changement intérieur » est également conscience de ce changement. Schématiquement, pour qu’un processus de changement s’enclenche, il faut que le psychisme ait connaissance d’un état (B), autre que le sien (A) à un moment donné (si je ne perçois rien de mieux, plus « confortable », plus beau, en dehors de ce que je suis déjà, pourquoi changer ?) ; qu’il ait la capacité de parcourir le chemin qui sépare (B) de (A) ; qu’il ait le désir de parcourir ce chemin ; qu’une fois arrivé à (B), il soit capable de l’intégrer (ainsi l’état (B) devient-il l’état initial d’un futur changement). En ce sens, on s’intéressera malgré tout au résultat du changement, non comme finalité, mais comme étape dans un processus d’évolution. Comment l’aïkido, pratique corporelle, peut-il influer sur ce processus, interagir avec lui ?

Changer, sortir de moi
Tout d’abord, nous l’avons vu, le processus de changement intérieur est profondément lié à la connaissance de la possibilité d’un état nouveau. Or, commencer l’aïkido – cela vaut je suppose pour tout art martial traditionnel–, c’est redevenir élève, une position dans laquelle il est assez rare de se retrouver, une fois sorti du système scolaire. En aikido, que je sois professeur ou non, je suis avant tout élève et idéalement, je cherche à le rester en permanence. C’est bien là l’esprit de « shoshin» : être prêt à recevoir, sans préjuger de quoi, posture que l’on peut considérer comme préalable à tout apprentissage, et donc à tout changement. La survenue de cet état est facilitée par le respect du rituel et de l’étiquette : en pénétrant dans le dojo, j’entre dans un lieu consacré à la transmission. Ma place, celles des autres aïkidoka et celle de l’enseignant y sont définies par la charge symbolique attribuée à chaque zone (la transmission se fait du kamiza au shimoza ; les élèves se placent du plus gradé au joseki au moins gradé au shimozeki), par le respect des rituels, notamment des saluts... L’aïkido pratiqué dans un cadre d’enseignement traditionnel offre donc des conditions favorables à l’accueil d’un changement.
Par ailleurs, où percevoir la possibilité d’un changement intérieur, sinon dans l’esprit d’un autre que moi ? Or, le pratiquant d’aïkido se retrouve impliqué dans un écheveau d’inter-
actions extrêmement riche avec ses pairs. Des interactions qu’il n’a pas en dehors du tatami. Non verbales, elles passent nécessairement par le corps, et visent justement à une meilleure communication entre moi, et l’Autre. De cette meilleure communication avec l’Autre, qui constitue elle-même un changement intérieur, pourront émerger de nouvelles perceptions d’états autres que moi vers lesquels mon esprit aura la volonté de tendre.
Chacun a ainsi pu constater que l’attaque et son contact engendrent de nombreuses réactions (gestes de résistance, de protection, voire gestes violents) et émotions (peur, colère, tristesse…), totalement incontrôlées au début de la pratique. Elles


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