Chers amis lecteurs,

 

C’est un lieu commun que de dire que l’aïkidō ne va pas bien, voire connaît une crise. Le nombre de pratiquants va rétrécissant – tout du moins, en France, pour ce qui est des deux grandes fédérations – , âge moyen en hausse, ce qui si, la tendance ne s’inverse pas, va faire des dojo des clubs du 3e voire du 4e âge (ce qui est déjà le cas au Japon pour les koryū). Il est aussi à craindre que l’intérêt des pratiquants restants pour l’histoire et la culture de l’aïkidō, telle que l’on peut la mesurer (et c’est certes une mesure très incertaine) par la mort – l’aiki-forum des forums consacrés à l’aikido, ne soit en chute libre.
Des causes « objectives » à cette tendance, il n’est pas difficile d’en nommer : omniprésence des « réseaux sociaux » qui accaparent l’attention et l’énergie de la majorité des jeunes ; pression des conditions de travail qui demandent une disponibilité quasi permanente; concurrence d’activités plus en résonnance avec l’air du temps (au point qu’il ne semble pas y avoir de mots français – ni allemands, d’ailleurs – pour les désigner : le site en ligne d’une chaîne de clubs offre un « coach » personnel pour le « fitness », le « wellness », et le «burning », ce dernier étant un « Renforcement et cardio-training en small group training pour des séances intenses et efficaces »). Pour ne pas parler du jogging et du spinning…  

Le Japon et ses arts n’ont plus l’attrait exotiques qu’ils avaient dans le temps… Et il faut constater que nombre d’experts et d’enseignants sont aujourd’hui sexa ou même septuagénaires. Les quinquas font office de « petits jeunes ». Et on peut s’imaginer qu’aux yeux de 18-25 ans, un papy chauve et ventripotent ou une mémé grisonnante ne sont pas des modèles auxquels ils voudraient ou pourraient s’identifier… Si « le presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat », il n’en va pas de même de l’aïkidō. Ce qui attirait les jeunes vers les arts martiaux japonais dans les années 60-70 (Les principaux enseignants, aussi bien fédéraux qu’indépendants sont nés entre 1948 et 1952, et ont commencé la pratique autour de 1968) n’est plus à l’œuvre aujourd’hui.

Et l’aïkidō n’est pas le seul art martial a connaître cette situation. Dans son étude de 2009 (disponible en ligne) « Ages et générations dans les fédérations de sports de combat et d’arts martiaux en France », Jean-Marie Duprez constatait que : « [L’]Aïkido n’[est] guère choisi avant 25 ans. [Cette] discipline ne [prend] une réelle importance qu’à partir de 40 ans (…), mais surtout après 50 ans. (…) La fréquentation selon l’âge a sensiblement évolué pour les fédérations de Judo, Karaté et Aïkido. L’évolution est caractérisée par deux phénomènes importants : une augmentation de la part des plus âgés et une baisse des 15-30 ans, voire un effondrement des 18-25 ans. (…) En conclusion, le phénomène de recomposition des âges ne concerne pas la famille des SCAM dans son ensemble. Il est spécifique aux arts martiaux que sont le Judo, le Karaté et l’Aïkido. Ces trois fédérations sont affectées par une désaffection des classes d’âge correspondant à la jeunesse et un renforcement des seniors. » Dix ans plus tard on ne peut pas dire que la tendance se soit inversée. La même étude montre que les sports de combats pieds-poings continuent d’attirer les jeunes. Alors ?

Alors peut-être qu’une des causes de la désaffection de ceux-ci pour l’aïkido et d’autres arts traditionnels n’est pas seulement à chercher « au dehors ». On se souvient – ou on a entendu parler – de la publicité des années soixante-dix, inspirée de la série « Les Incorruptibles », pour le soda Canada Dry, qui « avait la couleur de l’alcool, son nom sonnait comme un nom d’alcool, sa bouteille ressemblait aux bouteilles d’alcool, mais ce n’était pas de l’alcool ». On peut avancer l’hypothèse – ce n’est qu’une hypothèse, mais elle mérite d’être prise en considération – que le problème est que ce qui est proposé ne soit dans bien des cas, qu’un aïkidō « Canada Dry », tant pour ce qui est du travail sur soi, sur le corps comme sur l’esprit, le « mental ». On pense attirer et garder les pratiquants en les ménageant, en ne les poussant pas à se dépasser. À privilégier la quantité sur la qualité, on conserve peut-être les adeptes d’un « aïkido de loisir », mais n’accumule-t-on pas ainsi des poids plus ou moins morts au dépend de ceux « qui en veulent vraiment » et, n’y trouvant pas leur compte, sont ainsi repoussés vers d’autres disciplines ou sports. À ses débuts en Europe, personne n’aurait osé contester le qualificatif martial à l’aïkidō. L’aïkidō aura un avenir s’il sait retrouver son passé !

Bonne lecture de ce numéro de décembre.


L’équipe d’AikidoJournal souhaite à tous ses lecteurs une bonne fin d’année, de joyeuses fêtes, et une encore meilleure année 2019.

L’équipe

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