Kawabe Takeshi, le cœur du Bushi


Léo pendant notre entrevue …

« Le Budo comme beaucoup de chemins, est difficile, souvent solitaire, et ne mène ni à la richesse ni aux honneurs. Mais je suis heureux d’avoir pu consacrer ma vie à la voie que j’ai choisie, et j’invite chacun à avoir le courage de suivre ses aspirations. C’est une joie simple, mais profonde et durable. »
Kawabe Takeshi

J’ai fait en sorte, dans mon parcours de budoka, d’aller à la rencontre de nombre de géants des arts martiaux. J’ai croisé une poignée de charlatans, quelques virtuoses à la technique brillante, mais très peu de belles âmes. Parmi eux, Mochizuki Hiroo, Luo Dexiu, et celui dont je souhaite parler aujourd’hui, Kawabe Takeshi.


Un parcours imposant
Kawabe Takeshi est né le 2 août 1944 à Ōsaka. Il débute l’aïkidō à l’université, et découvre la pratique du Daïto ryu avec Hisa Takuma, l’un des élèves les plus célèbres de Takeda Sokaku. C’est toutefois l’aïkidō qu’il continue d’abord à étudier pendant quatre ans sous la direction de Kobayashi Hirokazu senseï.
Après un arrêt de quatre ans lors de son entrée dans le monde du travail, il retrouve le chemin des tatamis et reprend la pratique du Daïto ryu avec Hisa senseï. Aujourd’hui 8ème dan et instructeur en chef du Takumakaï, cumulant cinq décennies de pratique, Kawabe senseï est le seul instructeur professionnel de l›école. A ce titre il enchaîne à un rythme fou les déplacements au Japon mais aussi dans le reste du monde.
Kawabe senseï eut l’honneur de recevoir son nidan (2ème dan) en aïkidō de Ueshiba Moriheï, son nidan en Daïto ryu de Takeda Tokimune, le fils de Takeda Sokaku, son godan (5ème dan) et le Kyoju dairi (certificat d’enseignant/représentant) de Hisa Takuma, et son hachidan (8ème dan) de Mori Hakaru.

Le parcours de Kawabe senseï est impressionnant. Mais en vérité … il ne révèle rien. Car si les cartes de visite bien remplies m’impressionnaient dans ma jeunesse, plusieurs désillusions vécues au Japon me permirent de réaliser que dans le monde des arts martiaux comme souvent ailleurs, la simple présence continue permet d’obtenir titres et distinctions à l’usure. Les grades et diplômes du Budo ne faisant absolument pas exception. C’est donc avec espoir, mais sans attentes particulières que j’ai été à la rencontre de maître Kawabe. Il a outrepassé toutes mes espérances.
Je voudrais aujourd’hui partager certaines de mes impressions sur Kawabe senseï en m’appuyant sur un échange que j’ai eu avec Ellis Amdur. Ellis est un géant, au propre comme au figuré, qui inspire ma réflexion sur la pratique martiale. Lorsqu’il apprit que j’avais rencontré Kawabe Takeshi, il me posa plusieurs questions sur lui qui serviront de trame aux lignes qui suivent.
Peux-tu décrire ton ressenti en recevant ses mouvements ?
Les gestes de maître Kawabe sont souples. Il n’utilise pas la force physique pour faire fonctionner ses mouvements comme j’ai pu l’expérimenter avec d’autres adeptes célèbres de Daïto ryu.
Ses techniques peuvent être déplaisantes si il le souhaite, mais il se contente généralement de contrôler, réservant les mouvements douloureux aux pratiquants agressifs, ou, occasionnellement de façon très brève et amusante, pour détendre des élèves trop sérieux. Mais si c’est rare qu’il ait recours à ce moyen aujourd’hui, il semble qu’il ait été redouté dans sa jeunesse.
Par ailleurs les gestes de Kawabe senseï peuvent être très puissants, grâce à une subtile modification de l’utilisation du corps, et une compréhension fine des réactions de l’être humain. C’est toutefois très rarement qu’il fait démonstration de sa puissance, considérant probablement cela comme un étalage de mauvais goût.

Je dois ajouter que j’ai toujours considéré certains mouvements du Daïto ryu comme peu crédibles, et dépendant d’un contexte aussi restreint qu’improbable. Si maître Kawabe en emploie à l’occasion, notamment pour répondre aux attentes des afficionados lors de démonstrations ou cours grand public, il les évite lors des leçons avec des pratiquants qu’il juge investis. En ce sens il adapte subtilement son enseignement au public qui lui fait face.
Kawabe senseï m’a d’ailleurs indiqué que nombre de techniques du répertoire ne faisaient pas sens, et les mouvements où l’étendue de sa maîtrise se révèle sont les plus sobres, et donc difficiles à réaliser.

Y avait-il quelque chose d’unique et spécifique au Daïto ryu ?
Pas réellement.
J’ai invité Kawabe senseï car :
Je voulais lui poser des questions historiques,
Ses techniques ne reposent pas sur des qualités athlétiques,
Son contrôle est subtil mais extrêmement efficace,
J’avais des questions techniques.

Je n’ai été déçu sur aucun de ces points. En revanche il n’y a rien eu que je n’ai rencontré sous une forme ou une autre dans mon parcours, chez d’autres enseignants et dans d’autres disciplines.

Une chose intéressante à noter est le fait que, durant la semaine de stage, maître Kawabe a démontré à plusieurs reprises pour information des variations des mouvements à la façon de Toheï, Shioda, Okamoto, etc. Cela éclairait le travail sous de nouveaux angles, et témoigne de la profondeur de sa recherche. C’est le résultat de sa volonté à étudier avec tous, qui l’a mené à rencontrer et travailler avec des maîtres de plusieurs disciplines, mais surtout les chefs de file des autres courants du Daïto ryu. C’est un parcours unique, qui ne se révèle pas à la simple lecture de ses titres.

As-tu dû suivre d’une façon particulière pour que les techniques fonctionnent, ou as-tu pu réellement attaquer librement ?
Je n’ai jamais attaqué à intensité maximum, ou avec un mouvement non déterminé à l’avance, mais les attaques fortes et/ou rapides n’ont posé aucune difficulté à maître Kawabe. Il apprécie les saisies fermes, mais gère parfaitement les légères. Il ne m’a jamais indiqué les techniques qu’il allait réaliser, et pour beaucoup ce fut la première fois que je les expérimentais. Pourtant il obtint le résultat qu’il souhaitait à chaque fois. Et quand il fit face à des pratiquants zélés qui voulant bien faire, anticipaient le mouvement mais de façon erronée, il s’adapta à chaque fois aisément. La majorité des experts que j’ai vus dans la même situation ont réussi à s’adapter, mais j’ai la plupart du temps senti une tension, même légère, même si elle n’était que mentale. Rien de tout cela chez Kawabe senseï, et c’est quelque chose de remarquable.

J’aimerai ici ajouter que maître Kawabe est un homme réellement humble. Il m’a par exemple indiqué qu’il lui arrivait de rencontrer des pratiquants qu’il ne se sentait pas en mesure de gérer s’ils cherchaient à le mettre en difficulté. Il n’y avait aucune fausse modestie lorsqu’il a évoqué cela, et il partageait simplement son vécu.

As-tu pu comprendre comment Kawabe senseï réalisait ses mouvements ?
Oui. Mais s’il n’y avait rien de nouveau en ce qui me concerne, tout était réalisé efficacement et sans efforts.
L’enseignement de maître Kawabe forme un tout cohérent, basé sur des principes communs et clairs. Très différents de certains experts qui peuvent réaliser des mouvements exceptionnels, mais utilisent une variété de principes hétéroclites qui ne forment pas un système cohérent, et qu’ils n’ont pas conscientisés suffisamment pour pouvoir les généraliser. Ce qui les rend efficaces, mais incapables d’enseigner efficacement.

De façon générale, Kawabe senseï travaille beaucoup sur le ma-aï et sait en tirer profit très subtilement. Il adopte une posture verticale, et débute généralement ses mouvements en shizen taï. Cela dit, il m’a indiqué que les débutants devraient débuter par hanmi avant d’arriver graduellement à ce kamae de face.
Maître Kawabe utilise beaucoup l’extension dans ses bras tout en les gardant dans son axe, et étend aussi souvent ceux d’aïte. Il modifie régulièrement les angles durant le même mouvement.
Kawabe senseï met aussi un accent particulier sur la façon d’utiliser le bras en faisant partir le mouvement du coude. Il arrive en outre à donner l’impression que ses épaules sont dissociées, tout en réussissant à utiliser sa structure à travers ses membres supérieurs. La sensation est qu’il absorbe tout en rentrant. Bien sûr il y aurait encore beaucoup à ajouter sur sa virtuosité technique, mais ce sont les éléments qui me reviennent à l’esprit à l’instant.

Y avait-il dans son waza, quoi que ce soit qui nécessitait un entraînement spécifique (tanren) pour être réalisé, or était-ce le résultat du travail des katas ?
Kawabe senseï a une routine d’étirements qu’il considère fondamentale et qu’il réalise avant chaque entraînement. Cela lui permet de travailler dans l’extension et le relâchement. Il a aussi développé des exercices de respiration permettant d’abaisser le centre de gravité. Ce n’est pas quelque chose qui lui a été enseigné, mais qu ... vous en lirez plus dans l’Édition 70.

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