Dans les années soixante une ceinture noire était considérée avec effroi dans l’imagerie populaire. Le temps passant on prit du recul et ce fut le 4ème dan qui devint symbole d’efficacité. Soixante ans plus tard, il faut bien un 7ème ou 8ème dan pour espérer faire son effet. Et encore.
La complexité vient du fait que les dan n’ont pas de valeur absolue. Dans certaines écoles il faut faire x combats, dans d’autres connaître tel répertoire technique, quand ailleurs il faut avoir été présent pendant x temps. N’oublions pas non plus celles où il suffit de s’acquitter d’un montant forfaitaire, et celles où il faut être dans les petits papiers du maître…
Aujourd’hui, force est de constater que nul ne peut avec précision définir ce que représente un dan dans une discipline aussi riche et complexe que l’aïkidō.
Justice pour tous
Certains organismes ont essayé de mettre en place un système objectif et anonyme pour éviter les possibles dérives. Ils se sont essentiellement heurtés à deux problèmes. Le premier est le fait que le jury connaît souvent l’examiné, ou son professeur, particulièrement dès que l’on a passé le 1er dan. Le second est que, bien que sous-tendu par une intention louable, cette façon de faire privilégie les jeunes, les sportifs, et les personnes en bonne santé.
Compte tenu du fait que la population en aïkidō est de plus en plus âgée, que la discipline est de plus en plus pratiquée comme une gymnastique douce, et qu’elle attire des personnes se recyclant après s’être blessées des années en Judo, Karaté ou autre… les pratiquants pouvant répondre aux attentes ne sont plus qu’une poignée. Avec pour conséquence la baisse constante des critères de mesure sportifs. Et c’est malheureusement un mal que l’on retrouve dans la plupart des arts martiaux traditionnels. Les requis étant plus bas pour un grade similaire, le niveau devient objectivement plus faible, et la sagesse populaire ne se trompe finalement pas lorsqu’elle considère qu’un 4ème ou 5ème dan aujourd’hui n’a rien d’impressionnant.
Un examen varié
Comme dans tout problème complexe, aucune formule simpliste ne peut apporter de solution efficace. Voici les choix qui ont été retenus dans l’école Kishinkaï. Si l’école compte plus de 600 pratiquants dans plus de trente dojos et huit pays, elle reste toutefois jeune. Ainsi nous ne pouvons nous prévaloir d’avoir des décennies d’expérience avec notre système. Toutefois elle compte suffisamment de membres pour se baser sur un panel large. Jusqu’à présent les choix qui ont été faits sont appréciés des pratiquants et des enseignants, dont certains ont des décennies d’expérience, et ont connu plusieurs façons de décerner les grades.
J’ai tout d’abord considéré que décerner un grade uniquement sur l’évaluation de performances objectives n’était d’une part pas possible compte tenu de la complexité de l’aïkidō, d’autre part pas juste au regard de la grande variété des pratiquants. Pour autant, je pense aussi que distribuer des dan sur la simple base de l’ancienneté leur enlève toute valeur. J’ai donc voulu mettre en place un système avec des exigences de pratique, mais qui prennent en compte les situations individuelles. Cela complique évidemment les choses…
Au Kishinkaï les examens de dan comportent 5 étapes pour les shodan et nidan, puis 4 pour les grades suivants.
- La première étape est un examen technique classique. L’examiné et son uke réalisent les attaques et techniques demandées. Cette étape n’est plus présente à partir du sandan.
– La seconde étape, (première à partir de 3ème dan) est une présentation libre. Le candidat démontre les techniques qu’il souhaite sur des attaques qu’il a déterminées avec son uke.
– L’étape suivante voit l’examiné faire face aux attaques libres d’un uke.
– Dans la partie suivante, le candidat devient uke et attaque librement un autre pratiquant. Si une opportunité se présente, il retourne la technique qui lui est appliqué.
– Enfin, dans l’exercice final, l’examiné fait face à trois uke qui attaquent librement.
Naturellement chaque élément de l’examen est important à tous les niveaux. Toutefois à chaque grade un accent est mis sur une partie particulière :
– Pour le shodan l’accent est mis sur la compréhension des divers éléments constitutifs de la pratique. Le candidat doit pouvoir démontrer des capacités dans chaque étapes de l’examen, gage de compréhension et assurance de progrès dans la durée.
– Pour le nidan l’examen technique doit être impeccable et ne souffre quasiment aucune erreur. En effet, à ce stade le catalogue technique doit être parfaitement intégré. S’il y a des lacunes le candidat ne peut être reçu car il n’y a plus d’interrogation technique par la suite, de la même façon que l’on ne récite pas ses tables de multiplication au baccalauréat.
– Pour le sandan le candidat doit être capable de faire vivre les techniques dans sa présentation libre. Cela signifie notamment qu’il peut faire fonctionner des mouvements choisis sur un partenaire de son choix et des attaques établies.
– Pour le yodan, c’est lorsqu’il fait face à un uke qu’il n’a pas choisi et qui l’attaque librement que le candidat doit démontrer son efficacité.
La mesure d’un investissement
Les connaissances requises fixées, tant sur le fond que sur la forme, il faut ensuite prendre en compte le cheminement individuel. Car chacun arrive à l’aïkidō à un âge différent, avec des capacités physiques et mentales variées, après un parcours de vie unique.
En ce sens, il me semble par exemple inapproprié de demander à un sexagénaire qui n’a plus de car … plus lisez dans l'édition 71FR