Chers amis lecteurs,
Comme chaque année, à la mi-janvier s’est tenue au Hombu dojo de l’Aïkikaï, à Tōkyō, la cérémonie du kagami biraki : on mange des galettes de riz (kagami mochi) et on boit du sake, mais aussi, on inaugure la nouvelle année de pratique par une distribution des prix – la remise des diplômes aux plus hauts gradés et par une démonstration du Doshū. Cette année, parmi les huitième dan, on notera en particulier celui remis à Osawa Hayato : nos lecteurs se souviendront que lors de l’entretien qu’il avait accordé à notre journal, Yamada Sensei nous avait confié qu’il souhaitait voir Osawa Hayato lui succéder à la tête de la Fédération américaine. Parmi les septième dan, celui décerné à Malcom Tiki Shewan, co-directeur technique de Mutokukaï, nous réjouit tout particulièrement. D’autres français (d’autres, car Tiki, Écossais du New-Jersey, est bien un petit peu français), Daniel Jean-Pierre, Didier Alouis, Jacques Bonemaison ont eux aussi été promu à ce grade.
La démonstration de Dōshū, qui occupe sa place au sommet de la pyramide de l’aïkidō (du moins celui de l’Aïkikaï) mondial en vertu de sa filiation, a éveillé en nous quelques réflexions, un peu amères il est vrai. Certes, il s’agit là d’un exercice rituel, de figures imposées, et Ueshiba Moriteru n’est pas là pour se mettre en valeur. Mais ce qui se dégage de sa prestation est loin d’exprimer une joie, une conviction, pour ne pas parler d’enthousiasme, qui inspirerait une jeune personne à s’engager sur la voie de l’aïkidō. Ce n’est pas un cas unique, mais il est exemplaire de ce qui, à notre avis, ne va pas dans le monde qui nous intéresse.
Nous avons eu la chance de suivre un des derniers cours du père d’Osawa Hayato, Kisaburo, au Hombu. Il était dans la phase finale du cancer qui allait l’emporter quelques mois plus tard. L’intensité et la beauté qui se dégageaient de ses présentations (avec son fils comme uke) est une des impressions qui font que nous sommes encore, près de trente ans plus tard, sur les tatamis. Un autre maître, de la même génération, Shirata Rinjirō, lui aussi quasi octogénaire, rayonnait une joie profonde et contagieuse. Ni l’un, ni l’autre, ne donnaient l’impression de « faire leur devoir », de jouer par routine une partition devenue fade à force de répétition.
S’il ne fait aucun doute que le développement international de l’aïkidō doit (quasiment) tout à l’action de Ueshiba Kisshōmaru et de
Tōhei Kōichi, que sans eux et leurs élèves formés au Hombu dōjō de Tōkyō dans les années cinquante, ni AïkidoJournal et ses rédacteurs,
ni ses lecteurs ne seraient là en tant que pratiquants, il n’en reste pas moins, et ce n’est plus aujourd’hui une opinion de dissidents aigris mais un constat largement accepté, que l’expansion quantitative, après quelque temps, s’est soldée par un appauvrissement qualitatif. Le rétrécissement et le vieillissement des effectifs qui est apparent dans les pays où l’aïkidō a poussé de profondes racines en est aujourd’hui le prix. Et toutes les tentatives de marketing visant à attirer vers les dojos et les clubs des couches de la population jusqu’ici peu intéressées par une pratique martiale a pour effet de diluer encore plus ce qui est présenté.
Pour notre part, nous sommes persuadés qu’un des éléments de réponse à la situation actuelle est un « retour à Ōsensei », une remise en cause de ce que ses héritiers nous ont transmis sous son nom. Une réflexion sur les dits et écrits de Ōsensei ainsi que sur ce qui a fait qu’un inconnu, non issu d’une lignée martiale, dénué du prestige universitaire d’un Jigorō Kanō, se soit soudainement imposé sur la scène pourtant déjà fort encombrée des arts martiaux japonais des années vingt et trente nous parait indispensable. Nous trouvons des traces de ce qui a fait que Ueshiba soit devenu Ōsensei dans le journal tenu par l’amiral Takeshita Isamu, élève et soutien de Ueshiba Morihei à ses débuts à Tōkyō. Nous y reviendrons dans un prochain numéro … que nos lecteurs prennent patience !
Bonne lecture de ce numéro de mars.
L’équipe