Léo Tamaki

entrevue au 1er Mai


… pendant notre entrevue à Paris.

Quand as-tu commencé l’aïkido ?

J’ai commencé en 1995, à 21 ans. Je faisais du karaté et j’envisageais de devenir enseignant professionnel. À cette époque ma vision des arts martiaux était que le physique primait avant tout, et que la technique était juste là pour rediriger les capacités athlétique. Je pensais ouvrir un dojo et je savais que ce type de pratique n’était pas accessible à des gens âgés ou aux enfants. Je devais donc trouver autre chose pour eux. J’ai pensé à faire du yoga, du taï-chi ou de l’aïkido. J’ai finalement opté pour ce dernier, en me disant que j’allais apprendre une clé ou deux. J’allais vers l’aïkido avec beaucoup de dédain et de préjugés.

Avec qui as-tu débuté ?

Lorsque j’ai cherché un dojo d’aïkido, j’ai été voir deux experts 6ème dan. Le premier avait une forme qui ne me semblait pas martiale à l’époque, et cela ne m’a pas intéressé. J’ai trouvé le deuxième bon, mais je ne l’ai pas du tout apprécié au niveau humain. J’ai alors abandonné mes recherches mais, quelques mois plus tard, une amie m’a parlé de Jacques Bardet. Je suis allé le voir, il était 5ème dan, moins connu que les deux autres, et son cours était très simple, absolument pas spectaculaire. J’ai apprécié sa franchise et sa pratique et je me suis inscrit chez lui. Ca a changé ma vie.
Au deuxième ou troisième cours, Jacques me demande “Que fais-tu ce week-end ? Il y a un stage avec un expert japonais.”. Je lui ai dit d’accord et je l’ai accompagné au Havre, à un stage organisé par René VDB et animé par… maître Tamura. Et là, j’ai vraiment eu un choc. Dans les cercles martiaux où j’évoluais, il n’y avait quasiment pas de gens âgés. C’était une pratique très physique orientée vers la self-défense ou la compétition. Pour la première fois, je voyais une personne âgée se jouer de jeunes pratiquants avec une facilité déconcertante. Là, je me suis dit qu’il y avait quelque chose de spécial.
Très rapidement, j’ai totalement arrêté le karaté. Je devais partir faire mon service militaire mais j’ai adopté le statut d’objecteur de conscience pour pouvoir continuer là pratiquer. Je suivais le maximum de cours, j’allais aux stages de maître Tamura.

Comment était maître Tamura à l’époque ?

Quand je l’ai connu en 1995, il avait 62 ans. C’était encore une époque où à l’échauffement il y avait des pompes, des coups de pied et des coups de poing. Son aïkido n’était pas aussi sophistiqué qu’à la fin de sa vie, quinze ans plus tard, mais il m’a immédiatement séduit.

Cela a-t-il été difficile de passer du karaté à l’aïkido ?

Je faisais du karaté avec Jean-Pierre Vignau, ancien champion du monde de karaté, cascadeur, mercenaire, et il faisait beaucoup d’entraînements avec des policiers et des agents de sécurité. Au dojo, il y avait des cours spéciaux pour les gradés et les gens des services de sécurité. Il y enseignait à casser, détruire le plus efficacement possible. Le changement aurait donc pu être difficile. Mais la chance que j’ai eue en allant chez Jacques Bardet, c’est qu’il laissait la porte ouverte à tout le monde. Il y avait chez lui aussi bien des intellectuels, des artistes, que des gens qui venaient presque pour la bagarre. Ils étaient minoritaires, mais il y en avait. J’ai pu trouver ma place et il a su me canaliser tranquillement sans que je m’en rende compte. Donc ça n’a pas été difficile, mais ça aurait pu l’être avec quelqu’un d’autre, je pense.

Que vois-tu comme différence entre l’aïkido de Tamura Senseï et celui de la 2F3A ?

Au niveau technique il n’y a pas d’aïkido 2F3A, comme il n’y a pas d’aïkido FFAB, comme il n’y a pas d’aïkido Aïkikaï. Il y a des gens qui font des choses vraiment différentes dans chaque groupe. En revanche je pense qu’il y a une grande différence dans la façon d’aborder l’enseignement entre maître Tamura et les autres. Même la plupart de ses élèves.
S’il y a aujourd’hui beaucoup de personnes influentes comme Franck Noël, Bernard Palmier ou Paul Müller à la 2F3A, je crois que le succès de cette fédération s’est construit autour de Christian Tissier. Grâce à sa virtuosité technique, son charisme, mais aussi grâce à la clarté et la précision de ses explications. J’avais beaucoup aimé dans un de ses premiers livres son explication sur le ki. C’était clair, cela n’appauvrissait pas le concept, c’était bien. Il a pu attirer tous ceux qui cherchaient de la clarté et de la logique. Je pense que c’est la même chose qui, bien que la pratique soit différente, a fait le succès de la méthode de maître Saïto. Tamura senseï, à l’inverse, n’allait  jamais corriger les détails dans son enseignement. C’était très ordonné dans son esprit, mais il amenait à chercher les choses par soi-même. En ce sens, c’était beaucoup plus japonais.
La langue japonaise est très vague. Il n’y a pas de masculin/féminin, pas de singulier/pluriel, et pas de conjugaison. La communication est basée sur l’intuition, la sensibilité. C’est probablement pour cela que le zen a pu se développer autant, et que la parole a si peu d’importance dans cette culture. Ainsi on ne peut pas faire plus succinct que le poème japonais, le haïku. Mais à travers quelques syllabes on va  sentir, percevoir tout un monde suggéré. À l’inverse, la poésie occidentale est descriptive. On veut emmener le lecteur quelque part, mais on lui décrit donc, on lui explique. Et on retrouve un peu ces différences dans la pratique martiale. D’un côté la suggestion, de l’autre l’explication.


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