Pertinence et Transmisson en Aïkido : KÉZAKO ?

Olivier Gaurin
Olivier Gaurin

« Est-ce que vous vous sentez en danger lorsque vous effectuez une technique ?
Non ? Alors, il y a sûrement quelque chose qui cloche là-dedans ! »

L’idéal en aïkido serait :

A) Apprendre les techniques (des katas à deux en fait : ce sont les « coques » des mouvements, ce qu’on nous fait apprendre en gros jusqu’au 4e dan), puis :

B) En « sortir » ensuite (se détacher de leur caractère abécédaire, stéréotypé, creux et normatif (le : « C’est comme ça qu’il faut faire ! »… même si on ne sait pas pourquoi), sortir de leur caractère purement pavlovien aussi. C’est comme si soudain on les regardait « de l’extérieur » pour ce qu’ils sont : de purs signes, pour y mettre : du sens. Et « du sens », c’est  quoi sinon un ensemble de réponses à ces questions : « Comment s’organise la « signature » de chaque mouvement et pourquoi ? ». Puis, enfin :

C) Il s’agit de se réapproprier ces techniques pleines de sens cette fois, pour les libérer de la notion même de Kata. Le mouvement devient alors « vivant ». « Vivant », c’est à dire enfin : centré et disponible.

Bon, mais comment être sûr de ce qu’on met dans ces coques ? Comment être certain que ces sens soient justes ? Car, les deux grandes problématiques des savoirs en général, des savoirs des arts martiaux en particulier, et du savoir de l’aïkido de surcroit, ce sont : la problématique de la PERTINENCE, et la problématique de la TRANSMISSION. Tout part de là, du croisement de ces deux problématiques entre elles, qui en fait n’en forment plus qu’une seule qu’on pourrait nommer : la problématique de  la LÉGITIMITÉ. On tombe ici sur la notion de droit : droit d’arcane (caché) d’un côté, droit vulgaire (publique) de l’autre !
Or, comme ces savoirs autrefois guerriers étaient au départ tenus secrets (gnose, ou : « science haute du connaître »), il va de soi que cette double problématique est elle-même fortement antinomique. Pourquoi ? Parce qu’elle jongle sans cesse entre : le secret et la divulgation justement.

Ce paradoxe fut résolu par deux moyens très différents, parfois mêlés d’ailleurs : 1) par le confinement et ses codages (préserver fidèlement le(s) SECRET(S) dans un cercle très restreint de « connaisseurs » : des INITIÉS). Globalement et alors, le confinement revient à se poser cette question : « Qui peut, ou non, avoir accès à tel ou tel savoir ? ». Et de plus : « À quelle profondeur de cette gnose justement ? ». On dit alors que c’est un savoir ÉSOTÉRIQUE. Et le mot ésotérique n’a rien à voir ici avec le mot « mystique » ou « religion ». Il dénote seulement le fait que la « vraie » connaissance, ou la connaissance factuelle considérée par ce groupe comme telle, est uniquement réservée à des initiés, et peu importe ce qu’elle contient.

La deuxième solution :

2) consiste à supprimer les secrets, la notion même de secrets, ou ses niveaux de profondeurs particuliers (qui faisaient de la gnose : un ensemble fermé et donc secret). Donc : on DIVULGUE ! Le savoir devient alors : EXOTÉRIQUE. Il perd de son ou de ses essences. Mais il rentre par là même dans le domaine du droit et de l’opinion (DOXA). En cela, il devient le plus souvent orthodoxe aussi : conforme donc à un DOGME (Dogme : « Ce qui dépend d’une opinion justement, d’une décision, et non de l’analyse des faits »).

L’aïkido d’après la guerre du Pacifique est le meilleur exemple de cette deuxième solution : l’aïkido passe très exactement en 1942 d’un savoir ésotérique à un savoir exotérique. Ceci avec l’aval enthousiaste de l’Administration japonaise, puis plus tard de l’Administration américano-japonaise d’occupation (1945 et 1948).

Mais, et je vais parler ici de l’aïkido comme d’un « personnage en soi » : l’art en ce sens d’un art exotérique devient « aveugle ». Il perd de sa « vison » et de sa mémoire spécifique. Du coup, le pratiquant ou l’enseignant qui sera « éduqué » dans cet art devenu « aveugle et amnésique » va transmettre à son tour quoi ? … sinon un succédané de plus en plus aveugle et amnésique de l’art. Cependant, comme personne n’aime être ou se sentir ni aveugle ou ni vide de sens, l’art va peu à peu s’approprier de nouveaux territoires de réflexion, d’actions, et de nouveaux critères de jugement envers lui-même (les valeurs sportives, ou de compétitions, qui n’ont à priori rien à voir avec l’aïkido, en sont des exemples). Et ses pratiquants ou enseignants font exactement de même : ils vont essayer de se réapproprier de façon artificielle de la « matière », dans ce qui en a de moins en moins. Où donc ? Ben… « Ailleurs » !  (karate, MMA, jūjutsu brésilien, « jésuitisme », philosophie de tel ou tel philosophe, danse, zen, vénération de la personnalité d’un maître, éducation morale, mystique ou technique à la Zozo, nostalgie samouraï, etc.) !

Pourtant les paramètres fondamentaux de l’intention d’une confrontation (ou d’un combat : agressivité, folie, violence, etc.), sinon pour la forme ou les moyens utilisés, ne changent ni ne varient point à travers le temps ni l’Histoire si l’on regarde bien. Ainsi : N’est-ce pas ici une piste intéressante et un peu oubliée de nos jours que celle-là,  que cette « intenzione furiosa » qui reste une constante dans l’Histoire humaine ?
Je voudrais en donner un exemple frappant, cru, mais très simple, concernant l’aïkido bien sûr : Imaginez que vous réalisiez lors de votre entraînement habituel, soudain, que votre partenaire patibulaire du moment, mais presque, comme disait Coluche, porte quelque chose, une arme blanche apparemment, sous son revers. Imaginez ensuite que ce partenaire n’est pas spécialement du genre « Peace and Love ». Et qu’il vous attaque en shomen-uchi comme il est demandé, mais… mais… mais sans aucunement montrer ce qu’il porte (c’est là le point troublant du travail au couteau par exemple : « ne pas le voir ! »). Est-ce alors que vous feriez vos mouvements « comme d’habitude » ? Certainement pas ! Est-ce même que, l’esprit tranquille, vous parviendriez à entrer sur lui,  à faire un joli mouvement d’aïkido ? Pas sûr du tout non plus !

Donc, si vous prenez deux pratiquants, et que vous les armez tous les d


 

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